Sous réserve des cas de demandes dépourvues de motivation appropriée, la demande de récusation est soumise à l’examen d’un organe dont la composition ne coïncide pas avec celle du tribunal saisi (ATF 114 Ia 278 c. 1; TF 4D_80/2017 du 21.3.2018 [v. notes supra, A.]). La décision ne s’inscrit pas dans les mesures ordinairement nécessaires à la préparation et à la conduite rapide du procès civil, mesures que le tribunal saisi ou le juge délégué ordonnent en application de l’art. 124 al. 1 CPC. Au regard de ces particularités, la décision consécutive à une demande de récusation n’est pas une ordonnance d’instruction aux termes des art. 319 let. b et 321 al. 2 CPC, mais une des « autres décisions » visées par l’art. 319 let. b CPC. (c. 3.3) Parce qu’une demande de récusation met en cause la composition du tribunal saisi, l’incident doit être résolu immédiatement et de manière définitive. Les art. 49 al. 1 1re phr. et 51 al. 1 CPC répondent notamment à cet impératif de célérité. La partie requérante doit seulement rendre vraisemblables les faits qu’elle allègue (art. 49 al. 1 2e phr. CPC), de sorte que sur ce point, la procédure de la récusation est similaire à celle des mesures provisionnelles selon l’art. 261 al. 1 CPC. L’approche proposée par Tappy, selon laquelle la procédure sommaire est applicable à la demande de récusation, alors même que la loi ne le prévoit pas textuellement, se révèle donc convaincante et elle mérite d’être approuvée. [Le délai de recours est dès lors de 10 jours, cf. art. 321 al. 2 CPC]. (c. 4) La doctrine est partagée sur la qualification de la décision infligeant une amende disciplinaire (ordonnance d’instruction, ou « autre décision » au sens de l’art. 319 lit. b CPC) et sur le délai du recours disponible en vertu de l’art. 128 al. 4 CPC. Le prononcé infligeant l’amende disciplinaire, en particulier celle prévue par l’art. 128 al. 3 CPC, se présente fréquemment comme un élément accessoire ou additionnel dans une décision portant aussi sur d’autres mesures, voire dans une décision finale. Lorsque ces mesures sont elles aussi contestées, il s’impose d’admettre que la voie et le délai de recours applicables auxdites mesures le sont aussi à l’amende, par analogie avec le régime établi pour la contestation de la répartition ou du montant des frais judiciaires et des dépens [v. art. 110 al. 1]. (c. 5.1) L’indication des voies de droit [art. 238 lit. f CPC] doit préciser si la décision est susceptible d’appel (art. 308 ss CPC) ou de recours (art. 319 ss CPC), et dans quel délai; ces indications doivent être adaptées au cas particulier. (c. 5.2) La reproduction de l’ensemble des dispositions concernant en général les voies de recours en procédure civile est insuffisante pour répondre aux exigences de l’art. 238 let. f CPC.
2019-N26 Ordonnances d’instruction, « autres décisions » sur incident et délai de recours
Note F. Bastons Bulletti
1 Au cours d’une procédure civile de première instance, la défenderesse demande la récusation d’un juge. Sa requête est rejetée, de même que son recours contre la décision de rejet. Quelques temps plus tard, elle demande à nouveau la récusation du même juge. Sa nouvelle requête est déclarée irrecevable et en outre, une amende disciplinaire pour procédés téméraires lui est infligée. Le recours qu’elle introduit dans les 30 jours, tant sur la question de la récusation que sur celle de l’amende disciplinaire, est déclaré tardif et irrecevable. La défenderesse recourt au TF, d’une part en contestant que les recours soient soumis à un délai de 10 jours et, d’autre part, en invoquant sa confiance dans l’indication des voies de droit par le premier juge. Le TF rejette son recours.
2 Tant la décision sur une demande de récusation que celle prononçant une amende disciplinaire sont sujettes, de par la loi, au recours au sens strict (art. 50 al. 2 CPC ; art. 128 al. 4 CPC ; art. 319 lit. b ch. 1 CPC). Seul était en cause en l’espèce le délai de recours. Celui-ci est en principe de 30 jours (art. 321 al. 1 CPC), sauf si la décision attaquée a été prononcée en procédure sommaire, ou s’il s’agit d’une ordonnance d’instruction (art. 321 al. 2 CPC). L’arrêt précise le délai de recours contre une décision relative à la récusation: examinant d’abord la nature de cette décision, le TF considère qu’il ne s’agit pas d’une ordonnance d’instruction, mais d’une « autre décision » au sens de l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC (cf. c. 3.1 et 3.2 de l’arrêt). Le délai de recours est ainsi de 30 jours (art. 321 al. 1 CPC), sauf si la décision est prononcée en procédure sommaire (art. 321 al. 2 CPC). Or, le TF parvient ensuite à la conclusion que la procédure de récusation est soumise à la procédure sommaire, même si le texte de la loi (art. 49 s CPC) ne le précise pas (c. 3.3 de l’arrêt). Par conséquent, le délai de recours est de 10 jours.
3 L’arrêt examine aussi le délai applicable au recours contre le prononcé d’une amende disciplinaire (c. 4). Sans qualifier la décision, le TF relève que celle-ci est souvent prise, à titre accessoire ou additionnel, dans une autre décision – quelle que soit la nature de cette dernière : ordonnance d’instruction, autre décision, décision finale… Il estime dès lors raisonnable que le prononcé d’amende soit soumis au même délai de recours que cette décision principale, du moins si les deux prononcés sont simultanément contestés.
4 L’arrêt précise encore les exigences quant à l’indication des voies de droit qu’impose l’art. 238 lit. f CPC (c. 5.1 et 5.2). Le tribunal doit fournir des indications (voie de droit disponible – appel ou recours –, délai, éventuelle exclusion des suspensions prévues par l’art. 145 al. 1 CPC …) adaptées au cas d’espèce. Dès lors, la simple reproduction de l’ensemble des dispositions concernant en général les voies de recours en procédure civile ne suffit pas (c. 5.2).
5 Enfin, le TF examine les conséquences de l’indication imprécise ou inexacte des voies de droit : la protection de la confiance du plaideur n’est pas systématique, mais dépend de la bonne foi dont il peut se prévaloir. A cet égard, les exigences sont plus élevées envers le plaideur représenté par un avocat ou expérimenté (cf. notes sous art. 52, C.c., not. TF 5A_706/2018 du 11.1.2019, note in newsletter 2019-N14). En l’espèce, la recourante avait déjà introduit un premier recours identique, dans la même procédure ; elle avait alors respecté le délai de 10 jours, exposant le considérer comme applicable. Le TF a retenu qu’elle ne pouvait de bonne foi se contredire et invoquer la protection de sa confiance dans l’indication imprécise des voies de droit. Le TF n’a en revanche pas décidé si de manière générale, dans le doute sur le délai de recours au sens de l’art. 321 CPC, l’avocat serait tenu d’un devoir de prudence lui imposant de choisir le délai le plus court. A notre avis, l’avocat doit certes envisager cette solution de manière pragmatique, pour épargner à son client toutes les complications liées à une contestation. En revanche, la lui imposer, au détriment sans doute de la qualité du mémoire de recours, irait trop loin et ferait en définitive supporter au plaideur les conséquences du manque de clarté de la loi. Il faut à notre avis s’en tenir au principe selon lequel l’avocat peut se fier à une indication erronée, lorsque l’inexactitude ne peut être décelée par une lecture systématique du texte de loi.
6 L’arrêt est intéressant à trois égards : d’une part, il aborde la distinction, délicate et pourtant décisive, entre ordonnances d’instruction et « autres décisions » au sens de l’art. 319 lit. b et 321 al. 1 et 2 CPC (N 7 – 9). D’autre part, il précise que la procédure sommaire peut être applicable, au sens de l’art. 248 lit. a CPC, même lorsque la loi ne l’exprime pas expressément (N 10). Enfin, il indique la voie de droit contre un prononcé d’amende d’ordre, lorsque celui-ci est contesté en même temps que la décision principale dans laquelle il est prononcé (N 11).
7 En ce qui concerne la voie de droit, le CPC (art. 319 lit. b) distingue certes entre les « ordonnances d’instruction » et les « autres décisions », mais les soumet au même régime : ces deux types de décisions (globalement dénommées « décisions sur incident », cf. Message, 6983) ne peuvent être contestées immédiatement que par un recours au sens strict ; encore faut-il que la loi le prévoie (art. 319 lit. b ch. 1 CPC), ou que la décision ou ordonnance puisse causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 lit. b ch. 2 CPC). En cela, ces décisions « sur incident » se distinguent des décisions que vise l’art. 319 lit. a CPC (décisions finales – y compris partielles – [art. 236 CPC], incidentes [art. 237 CPC] ou de mesures provisionnelles [art. 261 ss CPC]). Celles-ci sont en principe sujettes à l’appel (art. 308 al. 1 CPC). Le recours est subsidiaire, en ce sens qu’il n’est ouvert que si la cause est de nature pécuniaire et n’atteint pas la valeur litigieuse selon l’art. 308 al. 2 CPC, ou si une disposition spéciale (telle l’art. 309 CPC) impose le recours. Les décisions selon l’art. 319 lit. a CPC, qu’elles concernent la recevabilité ou le fond, mettent fin à la procédure ou du moins, peuvent y mettre fin (décisions incidentes, art. 237 CPC), en tout ou partie (décisions – finales – partielles, art. 236 CPC). En revanche, les décisions « sur incident » selon l’art. 319 lit. b CPC ne concernent que le déroulement de la procédure, à laquelle elles ne peuvent pas mettre un terme. La distinction est parfois délicate. Elle n’a cependant de portée, quant à la voie de droit disponible, que lorsque la loi ne prévoit pas expressément le recours au sens strict : alors qu’une décision au sens de l’art. 319 lit. a est sujette à l’appel ou au recours, selon la valeur litigieuse (art. 308 al. 2 CPC), une décision « sur incident » (art. 319 lit. b CPC) ne peut être contestée que par un recours, et seulement si la décision peut causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 lit. b ch. 2 CPC). La question peut notamment se poser pour les décisions concernant la procédure de preuve à futur (art. 158 CPC) ou la radiation d’une cause du rôle faute d’objet (art. 242 CPC) : alors que dans le premier cas, il semble admis que la décision constitue une ordonnance d’instruction, sauf si elle met fin à une procédure indépendante de preuve à futur (décision finale, cf. notes sous art. 158 al. 2, 4., en part. TF 4A_421/2018 du 8.11.2018 c. 4 et 7, note in newsletter du 09.01.2019), la doctrine et la jurisprudence restent partagées en ce qui concerne la qualification – décision finale, ou ordonnance d’instruction – de la radiation du rôle selon l’art. 242 CPC (cf. notes sous art. 242, B.2.).
8 La distinction entre ordonnances d’instruction et « autres décisions » est en revanche importante lorsqu’il s’agit de déterminer le délai de recours. Alors que les ordonnances d’instruction sont toujours soumises au délai de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC), les « autres décisions » au sens de l’art. 319 lit. b CPC – comme aussi les décisions visées par l’art. 319 lit. a CPC – sont en principe soumises au délai de recours de 30 jours (art. 321 al. 1 CPC), sauf si elles sont rendues en procédure sommaire (délai de 10 jours ; art. 321 al. 2 CPC) ; dans ce dernier cas, le délai n’est en outre pas suspendu selon l’art. 145 al. 1 CPC (art. 145 al. 2 lit. b CPC).
9 Alors même que le délai de recours en dépend, la loi ne précise pas ce qui distingue une ordonnance d’instruction d’une « autre décision » sur incident ; ni l’art. 321, ni l’art. 319, ni l’art. 124 CPC ne définissent l’ordonnance d’instruction. Il en résulte des incertitudes pour bien des décisions « sur incident », dès lors que la doctrine, comme les jurisprudences cantonales, ne sont de loin pas unanimes. Le présent arrêt ne fournit pas de critère de distinction décisif. Néanmoins, le TF écarte manifestement – selon nous, à raison – l’avis selon lequel toutes les « décisions sur incident » au sens de l’art. 319 lit. b CPC seraient des ordonnances d’instruction au sens large, soumises au délai de 10 jours (v. c. 3.1 et 3.2). Il ne se prononce pas (cf. c. 4) sur l’avis partiellement opposé, selon lequel toutes les décisions visées par l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC, càd. celles pour lesquelles le recours est expressément prévu par la loi, seraient d’ «autres décisions », qui ne seraient sujettes au délai de 10 jours que si elles sont prononcées en procédure sommaire. Le TF distingue implicitement (c. 3.2) selon que la décision s’inscrit ou non « dans les mesures ordinairement nécessaires à la préparation et à la conduite rapide du procès civil, mesures que le tribunal saisi ou le juge délégué ordonnent en application de l’art. 124 al. 1 CPC » : ces dernières – dont la décision sur une demande de récusation ne fait pas partie – constituent des ordonnances d’instruction au sens de l’art. 321 al. 2 CPC. A notre avis, le critère de ce qui est « ordinairement nécessaire » à la préparation et la conduite rapide du procès est assurément exact, mais n’apporte pas les précisions nécessaires. Il n’est p.ex. pas évident qu’une décision de suspension du procès (art. 126 CPC) réponde mieux à ce critère qu’une décision sur la récusation ; celle-là est pourtant qualifiée d’ordonnance d’instruction, au motif que l’art. 126 CPC figure dans le même chapitre que l’art. 124 CPC (ATF 140 III 270 c. 3.3, note sous art. 126 al. 2) ; on peut également se demander en quoi un renvoi pour cause de connexité (art. 127), ou une limitation de la procédure (art. 125 lit. a CPC), prévus par ce même chapitre, sont « ordinairement nécessaires » à la conduite rapide du procès. Dans ces conditions, il serait plus sûr et prévisible de retenir que les décisions sur incident visées par l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC sont d’ « autres décisions » et que celles qui ne sont sujettes au recours qu’aux conditions de l’art. 319 lit. b ch. 2 CPC sont des ordonnances d’instruction. Pour les premières, le législateur a prévu expressément un recours immédiat, en les considérant comme particulièrement importantes. Cette importance peut aussi justifier que le délai de recours soit en principe de 30 jours, à moins qu’elles ne soient rendues en procédure sommaire.
10 La distinction entre ordonnances d’instruction et « autres décisions » ne s’impose cependant pas si la décision est prononcée en procédure sommaire : le délai de 10 jours est alors en tout cas applicable (art. 321 al. 2 CPC). Toutefois, là encore des difficultés peuvent surgir, comme le montre l’exemple de la récusation : d’une part, la procédure sommaire peut être applicable au prononcé de la décision « sur incident », indépendamment du type de procédure qui régit la cause principale (pour la récusation, v. c. 2 et c. 3.3 de l’arrêt ; cf. ég. pour l’assistance judiciaire art. 119 CPC). D’autre part, comme le retient le TF de manière convaincante, l’application de la procédure sommaire peut résulter de la loi (art. 248 lit. a CPC) même sans disposition expresse. Ainsi la procédure sommaire est applicable à la procédure de récusation, dès lors que celle-ci est soumise à une exigence de célérité et qu’il suffit de rendre vraisemblables des faits motivant la requête (cf. art. 49 al. 2 CPC) ; ces deux éléments sont effectivement typiques de la procédure sommaire (cf. notes sous art. 248, Généralités, en part. ATF 138 III 636 c. 4.3.2).
11 S’agissant de la décision d’amende disciplinaire, la solution choisie par le TF, par analogie avec la contestation d’une décision sur les frais (art. 110 CPC), semble pragmatique et judicieuse, quand bien même elle ne résulte certes pas directement de l’art. 128 CPC. En conséquence, contrairement à ce qui résulte du texte de l’art. 128 al. 4 CPC, la voie de droit n’est toujours le recours au sens strict que si la décision est attaquée séparément. Sinon, tant la voie que le délai sont ceux qui s’appliquent à la contestation de la décision principale. Le TF ne se prononce toutefois pas sur le délai de recours lorsque la décision infligeant l’amende est attaquée séparément – p.ex. lorsque l’amende est prononcée en raison de la non comparution d’une partie à l’audience de conciliation (cf. ATF 141 III 265 c. 3.2, notes sous art. 128, Généralités et sous art. 206, Généralités ; ég TF 4A_500/2016 du 9.12.2016 c. 3.1, note sous art. 128 al. 1). Dans ce cas, le recours au sens strict est la seule voie de droit (art. 128 al. 4 CPC). Dès lors que cette décision qui ne peut pas mettre un terme au procès, il s’agit d’une décision « sur incident » au sens de l’art. 319 lit. b CPC (du moins si elle vise une partie au procès), mais il n’est pas précisé si elle s’analyse comme une ordonnance d’instruction ou comme une « autre décision », ce qui pose à nouveau le problème du délai de recours. On peut hésiter : d’une part, rien n’indique que la décision relèverait en soi de la procédure sommaire (comp. N 10), sauf si la cause principale y est soumise. D’autre part, il n’est pas évident qu’il s’agisse d’une ordonnance d’instruction, plutôt que d’une « autre décision » sur incident : l’art. 128 CPC figure certes dans le même chapitre que l’art. 124 CPC, mais on ne voit pas en quoi une amende d’ordre est « ordinairement nécessaire » à la conduite rapide du procès. Dès lors que le recours immédiat est spécialement prévu par la loi, au sens de l’art. 319 lit. b ch. 1 CPC (cf. art. 128 al. 4 CPC), on pourrait la qualifier d’ « autre décision », soumise au délai ordinaire de recours de 30 jours sauf si la procédure sommaire est applicable (cf. N 9). Sur ce point, comme de manière générale sur les notions d’ordonnance d’instruction et d’ « autres décisions », il reste à attendre que d’autres arrêts apportent des précisions.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N26, n…