Rien ne s’oppose à ce que la jurisprudence relative à l’art. 176 al. 2 LDIP soit appliquée mutadis mutandis à l’opting out selon l’art. 353 al. 2 CPC. Ainsi, un accord des parties quant à l’application exclusive des règles de l’arbitrage international ne suffit pas à lui seul. Il est impératif que les parties excluent expressément l’application des dispositions du CPC relatives à l’arbitrage interne. (…) S’il ne s’agit pas là à proprement parler d’une condition supplémentaire venant s’ajouter à celles de l’art. 353 al. 2 CPC, il doit être observé que, même en cas d’opting out, l’arbitrabilité d’un litige à caractère interne au sens des dispositions susmentionnées se détermine selon l’art. 354 CPC et non l’art. 177 LDIP. (c. 1.5) L’utilisation par un tribunal arbitral de modèles ou documents types n’exonère en aucun cas les parties de la lecture attentive des dispositions dont le tribunal suggère qu’elles régissent la procédure, sans que l’on doive se prononcer sur le caractère insolite ou non de ces dispositions. (c. 1.6.1) Un opting out valable selon les art. 353 al. 2 CPC et 176 al. 2 LDIP ne requiert pas la mention expresse de la troisième partie du CPC ou, respectivement, du chapitre 12 de la LDIP, dans la convention d’arbitrage ou dans une convention ultérieure. Si une telle mention est recommandable afin de couper court à toute discussion, la validité d’une élection de droit n’en dépend pas. Il suffit que la volonté commune des parties d’exclure l’application de ces dispositions ressorte clairement des termes utilisés. (c. 1.6.2) Le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si la convention d’exclusion pouvait intervenir en tout temps (ATF 115 II 390 c. 2b/cc). (…) L’importance pratique de la question est limitée. Au regard des faibles différences subsistant entre la troisième partie du CPC et le chapitre 12 de la LDIP, un changement de régime – même en cours d’arbitrage – ne devrait en général pas avoir de conséquences pour la procédure devant le tribunal arbitral et les éventuels désagréments qu’un changement de régime en cours d’arbitrage pourrait occasionner au parties ne sont que les conséquences de leur propre choix. La véritable problématique de la limite temporelle d’un opting out réside dans la relation des parties aux arbitres, qui pourraient être contraints d’arbitrer un litige selon les règles d’une autre lex arbitri que celle ayant régi la procédure au moment de la constitution du tribunal. Toutefois, la question du dernier moment auquel les parties peuvent convenir d’un opting out sans l’accord des arbitres n’a pas à être tranchée, ces derniers ayant eux-mêmes suggéré la clause litigieuse. Avec l’accord du tribunal arbitral, rien ne s’oppose à ce qu’un opting out soit conclu jusqu’au prononcé de la sentence arbitrale.
2019-N19 Arbitrage interne, ou international ? Les conditions et le moment de l’« opting out »
Note F. Bastons Bulletti
1 A la suite des sanctions (interdiction d’exercer toute activité en lien avec le football à un niveau national et international et amende) prononcées contre lui par la FIFA dans le cadre du scandale qui a touché cette association dès 2015, son ex-secrétaire général a recouru à peu près en vain au Tribunal arbitral du sport (ci-après : le TAS) à Lausanne. Il a alors recouru au TF contre la sentence arbitrale du TAS. Estimant que l’arbitrage revêtait un caractère interne, il faisait valoir divers griefs, notamment l’arbitraire de la sentence. Le TF a ainsi eu l’occasion, dans cet arrêt destiné à publication, de préciser la délimitation entre arbitrage interne et international et ainsi, le champ d’application respectif des art. 353 ss CPC (arbitrage interne) et du chapitre 12 de la LDIP (art. 176-194, arbitrage international).
2 Comme le rappelle le TF (c. 1.1), l’enjeu est important, notamment, car les motifs de recours sont bien moins larges en matière d’arbitrage international (art. 190 al. 2 LDIP) que dans un arbitrage interne (art. 393 CPC). Notamment, une sentence d’arbitrage international ne peut être l’objet du grief d’arbitraire (comp. art. 393 lit. e CPC).
3 Il résulte de la définition négative de l’art. 353 CPC que lorsque le siège du tribunal arbitral est en Suisse, l’arbitrage est interne, à moins qu’il ne soit international. L’arbitrage est international à deux conditions cumulatives (art. 176 al. 1 LDIP): (1) le siège du tribunal arbitral (en principe déterminé par les parties, cf. art. 355 CPC ; art. 176 al. 3 LDIP) est en Suisse ; (2) au moment de la conclusion de la convention d’arbitrage (peu importe la situation ultérieure, cf. TF 4A_254/2013 du 19.11.2013 c. 1.2.1, note sous art. 353), au moins l’une des parties principales (cf. TF 4A_134/2012 du 16.7.2012 c. 1, note ibidem) à la procédure (et non nécessairement les parties à la convention d’arbitrage, cf. TF 4P.54/2002 du 24.6.2002 c. 3, note ibidem ; question cep. laissée ouverte in TF 4A_143/2015 du 14.7.2015 c. 1.1) n’avait ni domicile ou siège, ni résidence en Suisse. L’arbitrage interne est soumis aux dispositions de la 3e partie du CPC (art. 353-399), sauf si les parties ont expressément exclu par écrit (art. 358 CPC) l’application des art. 353 ss CPC et convenu que les dispositions du chapitre 12 de la LDIP (art. 176- 194 LDIP) sont applicables. Cette faculté d’élire le droit de l’arbitrage international, dénommée « opting out », est précisément l’objet du présent arrêt, les parties ne contestant pas en l’espèce que les deux conditions d’un arbitrage interne étaient réunies.
4 L’art. 176 al. 2 LDIP permet lui aussi, en arbitrage international, de convenir l’application des dispositions du CPC relatives à l’arbitrage interne (opting in). Sous l’empire du Concordat intercantonal sur l’arbitrage du 27 mars 1969 (CIA), l’opting in en faveur de ce concordat était soumis à trois conditions : (1) exclure expressément l’application du droit fédéral, (2) prévoir l’application exclusive des règles cantonales sur l’arbitrage et (3) revêtir la forme écrite (cf. c. 1.3.2 de l’arrêt). Selon la jurisprudence, la convention devait prévoir non seulement l’application exclusive du CIA, mais également l’exclusion expresse de la loi fédérale (LDIP) relative à l’arbitrage international (cf. TF 4A_254/2013 précité c. 1.2.3-1.2.4 et réf.). Le TF estime ici, d’une part, que le CPC n’a apporté aucune modification significative à ces conditions, et, d’autre part, que la jurisprudence relative à l’art. 176 al. 2 LDIP peut être appliquée mutadis mutandis à l’opting out selon l’art. 353 al. 2 CPC (c. 1.3.2 et 1.3.3 de l’arrêt). Il en résulte que l’opting out en faveur du chap. 12 de la LDIP suppose aussi, impérativement, que les parties respectent les trois conditions précitées, notamment qu’elles excluent expressément l’application des dispositions du CPC relatives à l’arbitrage interne.
5 Le TF précise ensuite qu’un opting out en faveur du chap. 12 LDIP ne modifie pas le caractère interne du litige, en ce sens que l’arbitrabilité de celui-ci se détermine néanmoins selon l’art. 354 CPC, qui ne permet l’arbitrage que si la prétention en cause relève de la libre disposition des parties, et non selon l’art. 177 LDIP, qui prescrit que « [t]oute cause de nature patrimoniale peut faire l’objet d’un arbitrage ». Cette solution permet d’éviter que les parties ne contournent le droit interne, qui exclut l’arbitrage pour certains litiges – notamment ceux ayant pour objet des prétentions découlant d’un rapport de travail purement helvétique auxquelles le travailleur ne peut renoncer, au sens de l’art. 341 al. 1 CO –, en optant pour la procédure applicable à l’arbitrage international (cf. déjà ATF 144 III 235 c. 2.3.3 i.f., note sous art. 354 et note M. Heinzmann in newsletter du 13.6.2018). La question, controversée en doctrine, de savoir si d’autres dispositions encore de la 3e partie du CPC – notamment sur la validité de la convention d’arbitrage (art. 357 ss CPC; comp. art. 178 LDIP), sur la litispendance (art. 372 CPC; comp. art. 181 LDIP) ou sur le droit applicable à la sentence (art. 381 CPC ; comp. art. 187 LDIP) – ne peuvent pas être éludées par le biais d’un opting out reste irrésolue. Elle n’a il est vrai pas une grande portée, étant donné les similitudes entre le CPC et la LDIP et le nombre limité de cas dans lesquels ces questions se posent.
6 En l’espèce, le recourant, en abordant le TAS, avait souligné le caractère interne de l’arbitrage et requis l’application des art. 353 ss CPC. Le TAS a néanmoins adressé aux parties un ordre de procédure qui prévoyait notamment que « les dispositions du chap. 12 de la loi suisse sur le droit international privé seront applicables, à l’exclusion de toute autre loi de procédure ». Les parties ayant ensuite signé ce texte – correspondant selon le recourant à un document standard que le TAS a adressé aux parties ensuite d’une erreur de son greffe et sans attirer l’attention des parties sur cette clause-, le TF a dû résoudre plusieurs questions.
7 La première était de savoir si la formule « exclusion de toute autre loi de procédure » satisfait à la condition d’exclusion expresse de l’application des dispositions du CPC relatives à l’arbitrage interne (supra, N 4). Le TF (c. 1.6) rappelle d’abord sa jurisprudence relative à la renonciation au recours contre les sentences arbitrales selon l’art. 192 LDIP, qui exige également une « déclaration expresse » des parties : il suffit que cette déclaration fasse ressortir de manière claire et nette la volonté commune de renoncer à tout recours (c. 1.6.1.2 de l’arrêt et réf. : ATF 143 III 589 c. 2.2.1; 143 III 55 c. 3.1; 134 III 260 c. 3.1; 131 III 173 c. 4.2.31). Relevant que les conséquences d’une renonciation à recourir sont plus lourdes que celles d’un opting out – qui permet néanmoins encore de contester la sentence, quoiqu’aux conditions restreintes de l’art. 190 al. 2 LDIP – il retient qu’il ne se justifie pas de poser des conditions plus strictes à l’opting out qu’à la renonciation au recours selon l’art. 192 LDIP. Dès lors, il n’est pas nécessaire que les parties aient cité les dispositions dont l’application est exclue, même si pour des raisons de clarté, il est préférable de se référer aux dispositions choisies et à celles qui sont écartées. Ainsi la formule « exclusion de toute autre loi de procédure » , qui ne pose aucun problème d’interprétation, suffit à un opting out valable en faveur du chap. 3 de la LDIP, dès lors que l’exclusion du titre 3 du CPC ressort clairement des termes utilisés.
8 La seconde était relative à la validité du consentement donné à l’opting out, le recourant soutenant que l’envoi de la formule par le TAS procédait d’une erreur de ce tribunal, ou à tout le moins d’un manquement aux règles de la bonne foi. Le TF (c. 1.5) écarte cet argument. D’une part il relève, à juste titre, que le plaideur assisté d’un avocat, qui signe un ordre de procédure contenant une clause d’élection de droit, est lié : pacta sunt servanda, à moins d’un vice du consentement, qui n’était pas même allégué en l’espèce. D’autre part, il précise que le TAS n’était pas tenu de mettre en évidence la clause en question: la jurisprudence relative aux clauses insolites (ATF 138 III 411 c. 3; TF 4A_499/2018* du 10.12.2018 c. 3.3) ne protège que les parties qui consentent globalement à des conditions générales régissant une relation contractuelle, et non des parties assistées d’un avocat, pour ce qui concerne une procédure arbitrale, dans laquelle les parties doivent faire preuve de diligence.
9 La troisième question à résoudre était celle du moment jusqu’auquel l’opting out peut être convenu. Le recourant doutait que les parties puissent convenir valablement une élection de droit après l’ouverture de la procédure d’arbitrage. L’art. 353 al. 2 CPC, de manière similaire à l’art. 176 al. 2 LDIP, permet l’opting out « dans la convention d’arbitrage ou dans une convention conclue ultérieurement « . Comme le rappelle le TF (v. c. 1.6.2.1), selon une partie de la doctrine l’opting out est possible en tout temps, même en cours de procédure d’arbitrage, voire jusqu’au prononcé de la sentence finale. D’autres auteurs apportent des restrictions à un opting out en cours de procédure, du moins s’il intervient sans l’accord du tribunal arbitral, ou lorsque la procédure a atteint un certain stade, au-delà duquel le changement de régime soulève des difficultés d’application. Le TF relativise cependant fortement ces difficultés, relevant qu’il n’y a guère de différences – du moins avant le recours au TF – entre l’arbitrage interne et l’arbitrage international, de sorte qu’un changement de régime en cours de procédure n’occasionne en général pas de problème de procédure, respectivement, ne cause que des difficultés – essentiellement d’éventuels retards – nécessairement acceptées par les parties. Le TF a en outre pu laisser ouverte la question de savoir si l’accord du tribunal arbitral à un opting out en cours de procédure est nécessaire et si oui, à quel stade : en l’espèce, le TAS lui-même avait proposé le changement de droit applicable, de sorte que son accord était en tout cas donné ; dans ces conditions, l’opting out pouvait être valablement convenu jusqu’au prononcé de la sentence.
10 L’arrêt apparaît en définitive comme un pas de plus vers l’harmonisation de l’interprétation des dispositions similaires de la 3e partie du CPC et du chap. 12 de la LDIP. En laissant une grande autonomie aux parties dans le domaine de l’arbitrage, qui relève plus encore de la libre disposition des parties que la justice étatique, et en excluant tout excès de formalisme, les solutions données sont claires et cohérentes.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N19, n…