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Action partielle : une réponse encore partielle du TF

TF 4A_29/2019* du 10.7.2019 c. 2.3 – 2.4

Art. 86, 224 - ACTION PARTIELLE – RECEVABILITE D’UNE DEMANDE RECONVENTIONNELLE EN CONSTAT NEGATIF DE L’ENSEMBLE DES PRETENTIONS DU DEMANDEUR PRINCIPAL – DEROGATION A L’EXIGENCE D’IDENTITE DE PROCEDURE APPLICABLE – INTERET A L’ACTION EN CONSTAT

L’exception à l’exigence d’identité de procédure applicable résultant de l’art. 224 al. 1 CPC [ATF 143 III 506 c. 4] n’est pas limitée au cas d’une action partielle au sens propre, mais s’applique de manière générale, lorsque l’action partielle crée une incertitude qui justifie, au sens de l’art. 88 CPC, une demande en constat de l’inexistence d’une créance ou d’un rapport juridique. (c. 2.4) Tel est manifestement le cas lorsque le demandeur allègue avoir « une créance totale de travail supplémentaire pour les années 2014, 2015 et 2016 à hauteur de CHF 51’850.- », mais n’agit qu’en indemnisation du travail supplémentaire de l’année 2016, à hauteur de Fr. 14’981.25, en réservant expressément une action ultérieure. Dans cette situation, le défendeur doit pouvoir, par une action reconventionnelle en constat négatif, faire trancher dans la même procédure l’indemnisation du travail supplémentaire des années 2014 et 2015, précisément car il se pose la question de la compensation du travail supplémentaire des années précédentes. La question de savoir si l’indemnisation du travail supplémentaire prétendument effectué pendant une année déterminée constitue un objet de litige distinct n’est pas décisive.

2019-N21 – Action partielle : une réponse encore partielle du TF
Note F. Bastons Bulletti / Michel Heinzmann


1 Une employée ouvre contre son employeur une action, qu’elle qualifie de partielle, en paiement d’un montant légèrement inférieur à CHF 15’000.-. Elle allègue avoir une créance totale d’env. CHF 52’000.-, représentant l’indemnisation du travail supplémentaire pour les années 2014, 2015 et 2016; sa demande porte cependant uniquement sur la créance résultant du travail supplémentaire de 2016. Le défendeur introduit une demande reconventionnelle, tendant au constat qu’il ne doit aucune indemnité de travail supplémentaire. Le premier juge, puis l’Obergericht, déclarent cette demande irrecevable et rejettent la requête du demandeur reconventionnel tendant au renvoi de la cause en procédure ordinaire. Le TF admet le recours du demandeur reconventionnel. 

2 Les juges cantonaux avaient qualifié la demande principale de partielle au sens impropre. Relevant que selon l’art. 224 al. 1 CPC, la demande reconventionnelle doit être soumise au même type de procédure que la demande principale, ils ont constaté que cette condition n’était pas remplie: de par sa valeur litigieuse, la demande principale était soumise à la procédure simplifiée, alors que la demande reconventionnelle relevait de la procédure ordinaire. Ils ont en outre considéré que la dispense de la condition précitée (art. 224 al. 1 CPC), admise par l’ATF 143 III 506 c. 4.3.1 lorsqu’en raison de leur valeur litigieuse respective, les deux demandes – partielle et reconventionnelle – ne sont pas soumises à la même procédure, ne concernait qu’une demande reconventionnelle en constat négatif introduite en réponse à une action partielle au sens propre, et non au sens impropre. Le TF a au contraire jugé que cette dispense doit s’appliquer chaque fois que l’action reconventionnelle en constat négatif répond à une action partielle, peu importe qu’il s’agisse d’une action partielle au sens propre ou au sens impropre, pourvu que cette demande reconventionnelle réponde à un intérêt digne de protection. 

3 Une action est partielle au sens impropre lorsque le demandeur dispose de plusieurs prétentions, dont le fondement factuel est identique, et qu’il décide de ne faire valoir qu’une (partie) de ces prétentions. En revanche, dans une action partielle au sens propre, le demandeur ne fait valoir qu’une partie d’une prétention, en réservant, expressément ou non, l’autre partie. Le thème d’une action partielle au sens propre est ainsi un objet du litige unique (TF 4A_366/2017 du 17.5.2018 c. 5.2 , note sous art. 86, A.a.), au sens de la théorie de l’objet du litige binôme (consacrée par les ATF 139 III 126 c. 3.2.3 [cf. notes sous art. 59 al. 2 lit. e, 4.a., et sous art. 59 al. 2 lit. d, 2.a.] et 142 III 210 c. 2.1 : l’objet du litige est composé de la conclusion et du complexe de faits invoqué à l’appui de celle-ci). L’action partielle au sens impropre suppose au contraire qu’il existe plusieurs objets du litige, que le demandeur ne fait toutefois pas valoir (tous) ensemble, en cumul: le demandeur réserve alors – expressément ou non – d’autres prétentions.

4 Il est fréquent qu’en réaction à une action partielle, le défendeur introduise une action reconventionnelle en constat négatif de l’ensemble de la (ou des) prétention(s) du demandeur. Selon l’art. 224 al. 1 CPC, l’action reconventionnelle n’est – notamment – recevable que si elle est soumise à la même procédure que l’action principale. Dans l’ATF 143 III 506 c. 4 (notes sous art. 224, B., et sous art. 86, B.), le TF a toutefois énoncé, en dérogation à la lettre de l’art. 224 al. 1 CPC, qu’une demande reconventionnelle du défendeur à l’action partielle, en constat négatif de l’ensemble de la prétention, est recevable même si sa valeur litigieuse impose un type de procédure différent de celui applicable à la demande partielle principale. Cet arrêt ne visait cependant expressément que le cas d’une action partielle au sens propre. 

5 Le TF étend ici cette jurisprudence : l’action reconventionnelle en constat négatif du solde des prétentions du demandeur principal est recevable, sans égard à la condition d’identité de procédure applicable de l’art. 224 al. 1 CPC, indépendamment du caractère – propre, ou impropre – de l’action partielle. Il n’est dès lors pas nécessaire de déterminer si les prétentions réservées constituent ou non un objet du litige distinct de celui invoqué dans l’action partielle. La question – toujours délicate – de la délimitation concrète de l’objet du litige est ainsi contournée.

6 L’arrêt rappelle et aborde en revanche la condition de l’intérêt à l’action reconventionnelle en constat négatif.

6a Dans une action en constat, la condition de recevabilité de l’intérêt digne de protection (art. 59 al. 2 lit a CPC) n’est pas réalisée d’emblée (cf. notes sous art. 88, A.; ég. note M. Heinzmann in newsletter du 24.5.2018 [TF 4A_417/2017* du 14.3.2018 c. 5.2 – 5.4]). Il faut, d’une part, que les relations juridiques des parties soient incertaines et qu’on ne puisse exiger du demandeur qu’il supporte plus longtemps cette incertitude, car elle l’entrave dans sa liberté de décision. En outre, dès lors qu’une action en constat négatif oblige le défendeur à alléguer et prouver l’existence de sa prétention à un moment qu’il n’a pas choisi et qui ne lui est pas forcément favorable, l’intérêt du défendeur doit être aussi pris en considération (cf. notes sous art. 88, A.1., en part. ATF 141 III 68 c. 2.3 et réf.). Il résulte de la jurisprudence récente que l’intérêt au constat doit en général prévaloir sur celui de la partie adverse lorsque cette dernière a mis le demandeur sous pression, que ce soit par une poursuite, par la menace de l’ouverture d’une action ou par une action partielle au sens propre (cf. note M. Heinzmann précitée; ég. notes sous art. 88, A.3., en part. ATF 141 précité, c. 2.7 et ATF 144 III 175 c. 5.4).

6b Comme le relève le TF (c. 2.3), la condition de l’intérêt est à l’évidence remplie lorsque la demande reconventionnelle négatoire répond à une action partielle au sens propre. En effet, « l’introduction d’une action [partielle] condamnatoire implique l’invocation non seulement de la prétention partielle objet de l’action, mais aussi, en même temps, de l’ensemble du droit qui en est le fondement nécessaire, de sorte que la demande entrave le défendeur, dans toute cette mesure, dans sa sphère de droit privé » (ATF 143 III 506 c. 4.3.1 et réf.). Cet avis doit cependant, à notre avis, être nuancé: d’une part, la demande reconventionnelle en constat négatif ne répond à un intérêt, dans le cadre d’une action partielle au sens propre, que pour la part de la prétention qui n’est pas directement visée par l’action partielle: pour la part réclamée dans l’action partielle, une simple conclusion en rejet suffit (cf. TF 4A_80/2013 du 30.7.2013 c. 6.4, note sous art. 88, A.3.). D’autre part, elle ne répond à un intérêt que dans le cas de l’admission intégrale de l’action partielle (cf. note M. Heinzmann in newsletter du 5.10.2017). En effet, en cas de rejet total ou partiel de l’action partielle, la décision de rejet (partiel) contient déjà le constat, revêtu de l’autorité de chose jugée, que le solde de la prétention du demandeur initial n’existe pas (en ce sens: TF 4A_194/2012 du 20.7.2012 c. 1.5, ibidem). La demande reconventionnelle ne doit dès lors être introduite qu’à titre éventuel (subsidiaire), pour le cas où l’action partielle serait entièrement admise.

6c En revanche, dans l’action partielle au sens impropre, l’intérêt du défendeur au constat négatif de l’ensemble des prétentions du demandeur est moins évident. Cette action ne répond à un intérêt suffisant que si, même en ce qui concerne les prétentions qui constituent un autre objet de litige, et que le demandeur principal a réservées, il existe une incertitude qualifiée, dont le maintien lui est intolérable; en outre, on doit là aussi prendre en considération les intérêts du demandeur initial, qui devra mener le procès sur des prétentions qu’il n’entendait pas soumettre (immédiatement) au juge. Cela suppose à notre avis que les diverses prétentions du demandeur initial, quand bien même elles constituent des objets de litige distincts au regard de la théorie de l’objet du litige binôme (supra N 3), soient interdépendantes, de sorte que même les prétentions réservées sont en définitive indirectement en jeu. Dans ce cas, le demandeur a un intérêt suffisant et prépondérant à ce que leur existence soit jugée d’emblée, en une seule décision. Concrètement, cet intérêt est en tout cas réalisé lorsqu’à défaut d’une décision d’ensemble, il existe le risque de décisions contradictoires, càd. lorsque la même question est au cœur de chacune des prétentions du demandeur principal. Tel était le cas en l’espèce: il ressort de l’arrêt (c. 2.4), mais plus clairement encore de la décision attaquée (OGer/ZH du 27.11.2018, LA180016-O/U), que le calcul du travail supplémentaire effectué pendant l’année visée par la demande partielle dépendait notamment de savoir combien de travail supplémentaire avait été réalisé au cours des années précédentes et compensé par la suite.

7 Reste à examiner la motivation de l’arrêt en ce qui concerne la dispense de la condition d’identité de procédure résultant de l’art. 224 al. 1 CPC. Au contraire de ce que soulignait le TF dans l’ATF 143 III 506 c. 4, on ne peut affirmer ici que la demande reconventionnelle négatoire porte sur le même objet du litige (i.e. « den umstrittenen Anspruch der klagenden Partei in seinem gesamten Betrag ») que la demande partielle, de sorte qu’elle ne serait pas une action reconventionnelle ordinaire au sens de l’art. 224 al. 1 CPC („keine gewöhnliche Widerklage „). Une demande reconventionnelle qui porte sur toutes les prétentions du demandeur principal, même non invoquées dans l’action partielle, comprend clairement un ou plusieurs autre(s) objet(s) du litige.

7a L’arrêt ne contient pas de motivation détaillée de la solution adoptée, hormis l’affirmation que le défendeur qui a un intérêt (cf. N 6c) à l’action en constat négatif „doit pouvoir“ faire trancher dans la même procédure les questions interdépendantes, peu importe qu’elles constituent ou non des objets du litige distincts (c. 2.4). Le TF n’expose pas plus précisément en quoi on ne pourrait pas exiger du défendeur qu’il introduise son action négatoire dans une procédure séparée, si elle n’est pas soumise au même type de procédure que la demande partielle. On peut toutefois retracer son raisonnement à la lumière de son arrêt précédent (ATF 143 précité).

7b Même si la demande reconventionnelle négatoire ne porte pas sur le même objet du litige que la demande partielle, elle n’en porte pas moins, comme lorsqu’elle répond à une demande partielle au sens propre, sur des prétentions du demandeur initial. Dans l’arrêt ATF 143 précité (c. 4.3.3), le TF a exposé que cet élément est alors décisif pour calculer la valeur litigieuse: lorsque la demande reconventionnelle porte sur des prétentions du demandeur principal, on ne se fonde pas sur l’art. 54 al. 1 LTF, qui prévoit – comme l’art. 94 CPC – que la valeur litigieuse de la demande reconventionnelle n’est pas additionnée à celle de la demande principale, mais on détermine la valeur litigieuse comme en cas de cumul d’actions (art. 52 LTF; art. 93 al. 1 CPC), càd. en additionnant les conclusions du demandeur initial et du demandeur reconventionnel, dans la mesure où elles ne s’excluent pas (TF 4A_493/2014 du 26.1.2015 c. 1.1.2; 4A_181/2009 du 20.7.2009 c. 1.1; ATF 102 II 394 c. 1 et réf.).  Il va de soi qu’ensuite de cette addition, la condition d’identité de procédure applicable est toujours remplie, si le type de procédure dépend de la valeur litigieuse. Toujours dans l’ATF 143 précité, le TF a ensuite souligné que le défendeur à une action partielle et demandeur reconventionnel « entend faire de l’ensemble de la prétention contestée du demandeur l’objet de la procédure pendante » („die beklagte Partei [will] den umstrittenen Anspruch der klagenden Partei in seinem gesamten Betrag zum Gegenstand des hängigen Verfahrens machen „) et a estimé « au vu de la jurisprudence concernant le calcul de la valeur litigieuse en procédure fédérale » („unter Berücksichtigung der Rechtsprechung zur Streitwertberechnung im bundesgerichtlichen Verfahren“), que l’art. 224 al. 1 CPC ne s’oppose pas à la demande reconventionnelle négatoire introduite en réaction à une demande partielle. Au vu de ce raisonnement, on comprend que dans le présent arrêt, le TF n’ait pas motivé particulièrement la solution adoptée: celle-ci peut reposer sur les mêmes considérations, même si la demande reconventionnelle ne concerne pas uniquement l’objet du litige de l’action partielle. Encore son application est-elle limitée au cas où c’est en raison de leur valeur litigieuse que les demandes partielle et reconventionnelle ne sont pas soumises à la même procédure : en effet, la dérogation à l’art. 224 al. 1 CPC n’est qu’indirecte, en ce sens qu’elle ne résulte que du mode de calcul de la valeur litigieuse. La solution ne peut dès lors pas valoir si le type de procédure applicable dépend de la nature de la cause (cf. infra N 11a). 

7c Toutefois, des indices font apparaître que dans le présent arrêt, le TF ne s’est peut-être pas uniquement fondé sur l’argument précité : d’une part, on l’a vu (N 6c), dans le contexte d’une demande reconventionnelle négatoire en réaction à une action partielle au sens impropre, la condition d’un intérêt au constat revient à exiger une interdépendance entre les prétentions que le demandeur à l‘action partielle a fait valoir et celles qu’il a réservées. D’autre part, le TF signale, certes obiter, qu’en cas d’action partielle au sens propre, l’intérêt à la demande reconventionnelle est donné, d’autant que le demandeur reconventionnel « ne peut pas créer de litispendance ailleurs pour l’objet du litige » (c. 2.3 i.f. de l’arrêt). On peut voir sur ces deux points une référence à la théorie du centre de gravité. Celle-ci favorise le règlement global, par un seul tribunal, de l’ensemble du litige divisant les parties. Elle doit être examinée de plus près.

8 Selon cette théorie (que le TF a adoptée aussi en droit interne, du moins dans le cadre de la litispendance en lien avec la compétence ratione loci: ATF 128 III 284 c. 3b/bb ; ATF 138 III 570 c. 4.2.2., notes sous art. 59 al. 2 lit. d, 2b ; ég. TF 5A_223/2016 du 28.7.2016 c. 5.1.1.2 et réf.), deux litiges ont le même objet lorsque la même question juridique se trouve en leur centre, de sorte qu’il existe le risque de décisions contradictoires. La notion d’objet du litige est ainsi plus large que celle résultant de la théorie de l’objet du litige binôme. Toutefois, elle n’est appliquée que dans l’examen de la condition (négative) de litispendance (art. 59 al. 2 lit. d CPC). En outre, dans ce cadre elle n’a pas la même portée que la notion de l’objet du litige binôme (N 3 supra) : au contraire d’une action dont l’objet est identique à celui d’une action déjà pendante, au sens de la théorie de l’objet du litige binôme, l’action dont l’objet n’est identique qu’au sens de la théorie du centre de gravité (càd. interdépendant de celui de l’action pendante) n’est pas absolument irrecevable. La litispendance préexistante créée par une action identique au sens de cette théorie a pour seul effet que la deuxième action ne peut être introduite que devant le tribunal saisi de la première. Elle produit ainsi uniquement une attraction de compétence en faveur de ce tribunal, précisément aux fins d’éviter des décisions contradictoires: la deuxième action n’est irrecevable que si elle n’est pas introduite devant lui. Le TF n’a jusqu’ici statué en ce sens que pour imposer le for du tribunal saisi de la première action. Il faut cependant admettre, avec M. Sogo (Widerklage in handelsrechtlichen Streitigkeiten: Kernpunkttheorie und Erfordernis der gleichen sachlichen Zuständigkeit, RJB 147/2011, p. 937 ss), que le but d’éviter des décisions contradictoires impose que dans ce for, seul le tribunal matériellement compétent pour connaître de la première action soit compétent pour la seconde. Le but précité ne peut cependant être atteint que si en outre, la deuxième action est jugée dans le même procès que la première (M. Heinzmann, Gedanken zur Kombination von Streitgegenständen, RDS 2012, 471 ss). En d’autres termes, la deuxième action, si elle émane du défendeur à la première, ne peut prendre que la forme d’une demande reconventionnelle.

9 Dans le cas qui nous occupe, l’application de la théorie du centre de gravité conduit à déclarer irrecevable toute action du défendeur, si elle est introduite devant un autre tribunal et/ou dans une autre procédure, qui porte sur la même question centrale que la demande partielle. Ainsi, tant que la demande partielle est pendante, le défendeur ne peut faire valoir de prétentions interdépendantes de celles du demandeur initial que par une action reconventionnelle. C’est sans doute ce que relève le TF, lorsqu’il énonce (c. 2.3 i.f., N 7c supra) que la litispendance de l’action partielle au sens propre empêche le défendeur d’agir ailleurs en constat négatif.  Il en va toutefois de même aussi pour le défendeur à l’action partielle au sens impropre, s’il dispose d’un intérêt au constat négatif de toutes les prétentions du demandeur initial : cet intérêt suppose que les prétentions en question soient interdépendantes de celle objet de la demande partielle (N 6c supra), ce qui implique qu’elles sont identiques au sens de la théorie du centre de gravité. Dans tous ces cas où le défendeur à l’action partielle ne peut réagir que par une action reconventionnelle, empêcher l’introduction de cette action en application de l’art. 224 al. 1 CPC revient à lui dénier la garantie constitutionnelle d’accès à la justice (art. 29 Cst. ; art. 6 §1 CEDH), pour toute la durée de la litispendance de l’action partielle, alors qu’il a pourtant un intérêt à agir. La condition de l’art. 224 al. 1 CPC doit alors s’effacer et la demande reconventionnelle du défendeur doit être recevable même si elle ne relève pas du même type de procédure que la demande partielle principale.

10 La solution adoptée ici pour la recevabilité de la demande reconventionnelle négatoire du défendeur à l’action partielle va ainsi – du moins lorsque les actions partielle et reconventionnelle ne sont pas soumises à la même procédure en raison de leur valeur litigieuse -, dans le même sens qu’une application des effets de la théorie du centre de gravité. 

11 Reste à examiner la portée du présent arrêt. La demande reconventionnelle est-elle recevable, malgré la condition d’identité de procédure posée par l’art. 224 al. 1 CPC :

11a – lorsqu’elle est soumise à un autre type de procédure, non pas de raison de sa valeur litigieuse, mais en raison de la nature de la cause ? La solution apportée ici et par l’ATF 143 III 506 c. 4 ne s’applique a priori pas dans ce cas : si l’on retient la motivation donnée dans l’ATF 143 précité (supra N 7b), l’art 224 al. 1 CPC s’oppose à la recevabilité de la demande reconventionnelle lorsque la différence de procédure applicable tient à la nature du litige. En ce cas, le défendeur ne peut qu’introduire une action négatoire séparée. Si toutefois, l’on tient compte de la théorie du centre de gravité, la litispendance de l’action partielle empêche l’introduction d’une telle action séparée, dans la mesure où la même question est au centre des deux procédures. Or, l’action reconventionnelle en constat négatif remplit nécessairement cette condition, sans quoi elle serait déjà irrecevable faute d’intérêt suffisant au constat (supra N 6c). Le cas est cependant difficilement concevable, dès lors que si la même question est au centre des deux demandes, elles ont le plus souvent la même nature et relèvent ainsi de la même procédure. Si ce cas était exceptionnellement réalisé, il faudrait à notre avis faire là aussi abstraction de la condition posée par l’art. 224 al. 1 CPC et permettre au défendeur, pour respecter son droit d’accès à la justice, d’introduire action reconventionnelle dans la procédure introduite par le demandeur à l’action partielle.

11b – lorsque le demandeur reconventionnel, en sus de conclure au constat négatif de la totalité des prétentions du demandeur initial, fait valoir cumulativement des prétentions qui lui sont propres (condamnatoires, formatrices, voire constatatoires) ? Là encore, si l’on s’en tient au raisonnement du TF dans l’ATF 143 précité, il ne se justifie pas de contourner la règle de l’art. 224 al. 1 CPC par le biais du calcul de la valeur litigieuse (N 7b): en effet en ce cas, il n’y a pas de motif d’additionner la valeur litigieuse de la demande reconventionnelle à celle de la demande partielle, dans la mesure où elles portent sur des prétentions dont le titulaire– prétendu – n’est pas le demandeur initial.

11ba Il faut cependant souligner que dans cette situation, le demandeur opère – formellement du moins – un cumul d’actions, au sens de l’art. 90 CPC. Pour déterminer si les conditions de recevabilité du cumul – soit l’identité de compétence matérielle et de procédure applicable (cf. art. 90 CPC) – sont remplies, les valeurs litigieuses sont préalablement additionnées (art. 93 al. 1 CPC; ATF 142 III 788 c. 4.2.2 – 4.2.4, note M. Heinzmann in newsletter du 11.1.2017 ; sur le cas où la procédure applicable ne dépend pas de la valeur litigieuse, cf. M. Heinzmann, Verfahrensüberschreitende Klagenhäufung?, RSPC 2012, 269 ss.) : ainsi, si la procédure applicable dépend de la valeur litigieuse, ce cumul est admissible. Dans la mesure où la condition posée par l’art. 224 al. 1 CPC (identité de procédure applicable à la demande partielle et à la demande reconventionnelle ; N 7b supra) est contournée pour les conclusions reconventionnelles en constat négatif, on pourrait soutenir que les conclusions reconventionnelles valablement cumulées sont toutes recevables, indépendamment du titulaire de la prétention visée et de la procédure qui leur est applicable. Il nous semble toutefois que dans ce cas, le TF pourrait appliquer par analogie sa jurisprudence antérieure à l’introduction du CPC (ATF 56 II 61 et ATF 102 II 394 c. 1, cf. note sous art. 90, A.): il pourrait distinguer parmi les prétentions invoquées dans la demande reconventionnelle et admettre uniquement la recevabilité des conclusions reconventionnelles qui portent sur les prétentions du demandeur initial, càd. des conclusions en constat négatif, les prétentions propres du demandeur reconventionnel devant alors être invoquées dans une procédure séparée.

11bb Ici encore, cependant, il faut à notre avis réserver le cas où les conclusions propres du demandeur sont elles aussi interdépendantes – au sens de la théorie du centre de gravité – des prétentions du demandeur initial (objets de la demande partielle, ou de la demande reconventionnelle), de sorte qu’il existe le risque de décisions contradictoires. Une action séparée étant exclue en ce cas (N 9), il faut admettre que le défendeur, dont l’accès à la justice ne peut être bloqué pendant la litispendance des actions partielle et reconventionnelle, doit pouvoir aborder le juge déjà saisi de la demande partielle et de l’action reconventionnelle et invoquer ses prétentions propres, dans la même procédure.

11c – lorsque le demandeur reconventionnel fait valoir uniquement des prétentions propres (par une action reconventionnelle condamnatoire, formatrice, voire constatatoire) ? La demande reconventionnelle ne porte alors pas sur les prétentions du demandeur initial, pas même sur celles qu’il a réservées, mais exclusivement sur les prétentions propres au demandeur reconventionnel. Cette différence justifie un traitement qui diffère de la solution retenue dans le présent arrêt : si ses prétentions propres sont soumises à un autre type de procédure que la demande partielle principale, le défendeur devrait en général les présenter dans une procédure séparée, l’art. 224 al. 1 CPC étant pleinement applicable. Il en va cependant autrement, à notre avis, si les prétentions propres du demandeur reconventionnel sont interdépendantes de celles du demandeur principal, au point qu’il y a un risque de décisions contradictoires. En ce cas, la solution que nous préconisons dans les autres cas, eu égard à la théorie du centre de gravité (supra N 11a et 11bb), doit également s’appliquer.

11d – lorsque la demande reconventionnelle n’est pas opposée à une action partielle, mais à une action classique ? Le TF a clairement énoncé, dans l’ATF 143 III 506 c. 3.2, que l’exigence d’identité de procédure (art. 224 al. 1 CPC) prévaut en principe, même lorsque la différence de procédure applicable est liée à la valeur litigieuse respective de la demande principale et de la demande reconventionnelle. Il n’a admis de dérogation (indirecte) que pour l’action reconventionnelle négatoire en réaction à une action partielle au sens propre (cf. ATF précité, c. 4), pour les motifs déjà exposés (cf. N 7b). Il admet ici que cette dérogation peut aussi se justifier dans le cas d’une action partielle au sens impropre. Or l’action partielle au sens impropre n’est précisément pas une action partielle, mais bien une action classique (cf. N 3 i.f.). Si l’identité de procédure applicable n’est pas une condition de recevabilité de la demande reconventionnelle négatoire en réaction à une action partielle au sens impropre – du moins si cette demande reconventionnelle répond à un intérêt juridiquement protégé, càd. si elle concerne des prétentions interdépendantes de celle(s) de la demande partielle -, il doit en aller de même pour toute action reconventionnelle qui tend au constat négatif de toutes les prétentions du demandeur principal, même lorsque celui-ci ne les a que tacitement réservées. Il va certes de soi que si le demandeur principal n’a pas d’autres prétentions litigieuses que celles qu’il fait valoir par son action, une demande reconventionnelle en constat négatif est irrecevable, faute d’intérêt:  il suffit dans ce cas de conclure au rejet de l’action. En revanche, il faut à notre avis admettre que la dispense de la condition d’identité de procédure s’étend à toute demande reconventionnelle en constat négatif de l’entier des prétentions du demandeur initial, pourvu que celle-ci corresponde à un intérêt suffisant, et ce même lorsque l’action partielle de ce demandeur est cachée. 

12 Dans son résultat en tout cas, l’arrêt doit être approuvé: d’une part, il épargne une fois de plus (cf. le précédent ATF 144 III 452 concernant le cumul de prétentions dans une action partielle, note sous art. 86, A.b. et newsletter du 4.10.2018) aux parties et aux tribunaux la tâche, parfois délicate, de déterminer concrètement l’objet du litige selon la théorie binôme. D’autre part, en facilitant l’action reconventionnelle en constat négatif des prétentions du demandeur initial, il octroie au défendeur à l’action partielle un moyen de défense légitime et réduit le risque de décisions contradictoires. On peut aussi voir dans cette solution une contrepartie équitable à la jurisprudence susmentionnée (cf. ATF 144 précité), qui a largement facilité l’action partielle. L’application de la théorie du centre de gravité permettrait une meilleure coordination encore; elle ne semble pas exclue à l’avenir.

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N21, n…

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