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Application de la procédure simplifiée en matière de protection contre les congés: seul le locataire peut-il mériter une protection procédurale ?

TF 4A_189/2022* du 22.5.2024 c. 3.2.2 et c. 3.4

Art. 243 al. 2 lit. c, art. 227 al. 1 - PROCÉDURE SIMPLIFIÉE INDÉPENDANTE DE LA VALEUR LITIGIEUSE – NOTION DE PROTECTION CONTRE LES CONGÉS – NON-APPLICATION AU CONGÉ DONNÉ PAR LE LOCATAIRE – NOTION DE MODIFICATION DE LA DEMANDE

(Résiliation du bail par le locataire avant l’expiration de la durée convenue. Action en constat de la nullité ou inefficacité du congé, subsidiairement en annulation du congé, introduite par le bailleur avant que le locataire ne quitte les locaux – Départ du locataire en cours de procédure, modification des conclusions du bailleur, qui demande paiement d’une peine conventionnelle et d’év. dommages-intérêts) Le même raisonnement [que dans l’ATF 149 III 469] prévaut lorsque le litige survient à la suite d’une résiliation notifiée par le locataire lui-même, que le bail soit de durée indéterminée ou déterminée. Dans ces cas-là, il ne s’agit pas pour le locataire d’obtenir une protection contre le congé. En effet, le juge ne doit pas déterminer si et jusqu’à quand le locataire peut demeurer dans les locaux, mais statue exclusivement sur les prétentions pécuniaires découlant de la résiliation ; la question de savoir si et comment le bail a pris fin ne se pose alors qu’à titre préjudiciel. L’extension jurisprudentielle de la notion de “protection contre les congés” à la fin du bail est justifiée par le but de la norme : le locataire mérite une protection procédurale, globalement, dans tous les litiges qui l’exposent au risque de devoir quitter les locaux loués contre son gré dans un avenir proche ou plus lointain. Or, lorsque le congé émane du locataire lui-même, ce risque n’existe pas. Le locataire qui met un terme au contrat de son propre chef et cesse d’occuper les locaux n’a pas besoin d’être protégé contre la fin du bail. Si un litige naît à la suite de la résiliation, le preneur n’a dès lors pas à bénéficier de la procédure simplifiée comme l’art. 243 al. 2 let. c CPC le prévoit. (c. 3.4) La bailleresse a, dans un premier temps, cherché à éviter que la locataire ne mette le congé extraordinaire à exécution; informée par la suite de la cessation d’exploitation du commerce, qui serait suivie peu après du départ des locaux et de la fin du paiement des loyers, elle était en droit d’adapter ses conclusions dans la réplique, afin de tenir compte du changement de circonstances intervenu depuis le dépôt de la demande en raison du comportement de la locataire. Il n’y a pas là une modification de la demande au sens de l’art. 227 al. 1 CPC. Au demeurant, à ce stade, le type de procédure – ordinaire ou simplifiée – n’était pas encore susceptible d’avoir eu des effets irrémédiables sur la suite du procès. La défenderesse ayant quitté les lieux de manière manifestement définitive, la demanderesse avait perdu désormais tout intérêt à ce que le juge statuât spécialement sur ses conclusions constatatoires [initiales]. Les conclusions en constatation de la nullité ou de l’inefficacité du congé sont devenues irrecevables dès l’instant où la bailleresse a formulé des conclusions condamnatoires.

2024-N7 Application de la procédure simplifiée en matière de protection contre les congés: seul le locataire peut-il mériter une protection procédurale ?  
Note F. Bastons Bulletti


1 La locataire de locaux commerciaux résilie un bail de durée déterminée avant le terme convenu, en invoquant des défauts (art. 259b lit. a CO) que la bailleresse conteste. Avant le départ de la locataire, et dans le délai de l’art. 273 al. 1 CO, la bailleresse agit en constat de la nullité ou de l’inefficacité du congé, subsidiairement en annulation de ce congé. En cours de procédure, la locataire quitte les locaux. La bailleresse conclut alors, dans sa réplique, au paiement d’une peine conventionnelle contractuellement prévue et d’éventuels dommages-intérêts. Après avoir mené le procès en procédure ordinaire, le tribunal admet la demande en majeure partie, en constatant la nullité du congé et en condamnant la locataire au paiement de la peine conventionnelle. Sa décision est confirmée par la Cour d’appel. La locataire recourt au TF, concluant principalement à l’irrecevabilité de la demande. Elle fait notamment grief aux juges cantonaux d’avoir appliqué à tort la procédure ordinaire et non la procédure simplifiée, ainsi que d’avoir admis la recevabilité de la conclusion nouvelle en paiement. Dans un arrêt destiné à publication, le TF rejette le recours.

2 Selon l’art. 243 al. 2 lit. c CPC, « [La procédure simplifiée] s’applique quelle que soit la valeur litigieuse (…) aux litiges portant sur des baux à loyer (…) de locaux commerciaux (…) en ce qui concerne (…) la protection contre les congés (…) ». Le TF rappelle d’abord (c. 3.2.1) sa jurisprudence relative à la notion de « protection contre les congés » : le litige relève de la “protection contre les congés ” dès que le tribunal doit se prononcer sur la fin du bail (ATF 142 III 690 c. 3.1, note sous art. 243 al. 2 lit. c, 3. et in newsletter du 26.10.2016). La notion doit recevoir une acception large, au-delà de la protection contre les congés stricto sensu (art. 271-273c CO), dès lors qu’il s’agit de protéger le locataire exposé au risque de devoir quitter les locaux (ATF 142 III 402 c. 2.5, note ibid. et in newsletter du 14.7.2016). Le TF rappelle cependant aussi le récent arrêt ATF 149 III 469 c. 2.5-2.6 (note ibid. et in newsletter 2023-N15), dans lequel il a nuancé sa jurisprudence : la notion de litige sur la fin du bail n’englobe que les cas dans lesquels il s’agit de statuer sur la date (future) de la fin du bail, et non pas exclusivement sur des prétentions financières découlant d’un bail déjà terminé ; en effet, il n’y a dans ces cas ni inégalité de force entre les parties ni urgence d’un jugement, éléments typiques de la protection contre les congés.

3 Sur ces bases, le TF souligne, dans le présent arrêt (c. 3.2.2 et 3.3), que la notion de « protection contre les congés », qui conditionne la protection procédurale selon l’art. 243 al. 2 lit. c CPC, vise tous les litiges qui exposent le locataire au risque de devoir quitter les locaux loués contre son gré, mais uniquement ces litiges. Or, en l’espèce, le litige fait suite à un congé donné par la locataire, qui a cessé d’occuper les locaux, et il s’agit de statuer sur des prétentions exclusivement pécuniaires élevées après la fin du bail, laquelle ne doit être examinée qu’à titre préjudiciel. Ainsi, la conclusion en paiement de la bailleresse n’est pas soumise à la procédure simplifiée selon l’art. 243 al. 2 lit. c CPC. Au vu de la valeur litigieuse supérieure à CHF 30’000.-, la procédure ordinaire est applicable (art. 243 al. 1 CPC a contrario ; cf. ég. TC/VD du 14.6.2017 (2017/219) c. 2.4.1 – 2.4.3, note sous art. 243 al. 2 lit. c, 3. et note M. Heinzmann in newsletter du 28.2.2018 ; dans ce cas aussi, le locataire avait résilié le bail et quitté les locaux, la question de la fin du bail ne se posant plus qu’à titre préjudiciel). 

4 En ce qui concerne la recevabilité de la conclusion nouvelle en paiement, le TF considère (c. 3.4 de l’arrêt) que la bailleresse qui après avoir demandé le constat de la nullité ou l’annulation du congé donné par la locataire, a conclu après le départ de celle-ci au paiement d’une peine conventionnelle, n’a pas modifié sa demande. Il relève que l’adaptation des conclusions a été nécessitée par un changement de circonstances provoqué par la partie adverse, dont le départ a fait perdre à la demanderesse tout intérêt au constat de la nullité comme à l’annulation du congé, de sorte que sa demande initiale est devenue irrecevable au regard de l’art. 59 al. 2 lit. a CPC (c. 3.4 de l’arrêt). Cet avis ne convainc pas : une modification de la demande, au sens de l’art. 227 CPC, a lieu lorsque l’objet du litige (composé des conclusions et du complexe de faits qui sous-tend ces conclusions, cf. ATF 139 III 126 c. 3.2) est modifié. Ainsi, une modification ou amplification des conclusions constitue une modification de la demande (cf. notes sous art. 227 al. 1 et 2, B., p.ex. TF 4A_439/2014 du 16.2.2015 c. 5.4.3.1). Or, en l’espèce, en réclamant paiement d’une peine conventionnelle, la demanderesse a amplifié ses conclusions ; elle a dès lors opéré une modification de sa demande au sens de l’art. 227 CPC. Le fait que le dépôt de la nouvelle conclusion soit commandé par un changement de circonstances – même créé par le comportement de la partie adverse – qui a fait disparaître l’intérêt digne de protection à la demande en constat, dès lors qu’une action condamnatoire devenait possible (sur la subsidiarité de la demande en constat, cf. notes sous art. 88, A.2.), n’y change rien. Au contraire, la survenance de faits ou moyens de preuves nouveaux est une condition de la modification de la demande, après la clôture de la phase d’allégation (art. 230 al. 1 lit. b CPC). Dès lors que la demanderesse avait bien modifié sa demande, le TF aurait dû examiner si cette modification était recevable au regard de l’art. 227 CPC.

5 La modification de la demande n’est recevable, notamment, que si la demande modifiée est soumise à la même procédure que la demande initiale (art. 227 al. 1 CPC). Or, le TF est parvenu en l’espèce à la conclusion que la demande modifiée était soumise à la procédure ordinaire (supra N 3). Dès lors, il aurait dû examiner, au regard de l’art. 227 al. 1 CPC, quelle était la procédure applicable aux conclusions initiales : si celles-ci étaient soumises à la procédure simplifiée, la modification était irrecevable, faute d’identité de procédure applicable. 

6 Les conclusions initiales étaient-elles soumises à la procédure simplifiée ? Avant la modification des conclusions, la bailleresse demandait le constat de la nullité ou de l’inefficacité du congé et subsidiairement, l’annulation de celui-ci (art. 271 CO). La question de la validité du congé et de la fin d’un bail qui était encore en cours se posait ainsi à titre principal. La cause concernait donc la protection contre les congés au sens de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC, tel qu’interprété selon l’arrêt de principe ATF 142 III 402 c. 2.5 précité (cf. ég.  TF 4A_383/2015 du 7.1.2016 c. 2.1, note ibid. et in newsletter du 9.3.2016), y compris au regard du récent ATF 149 précité. La conclusion subsidiaire, en annulation du congé, relevait même de la « protection contre les congés » au sens strict (art. 271 ss CO). Cependant, en l’espèce, ces conclusions étaient présentées par le bailleur et non par le locataire. Doit-on en conclure que la cause ne concernait plus la « protection contre les congés » au sens de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC ? 

7 La « protection contre les congés » du droit matériel (art. 271 CO, placé au début du chapitre III « Protection contre les congés concernant les baux d’habitations et de locaux commerciaux ») est aussi accordée au bailleur, contre un congé donné par le locataire (cf. BSK OR I-Weber art. 271/271a N 3 et réf. ; CR CO-Lachat/Bohnet, 2021, art. 271 N 4 ; CPra-Bail-Conod, 2017, art. 271 N 10). Le droit matériel ne reconnaît donc pas uniquement un besoin de protection aux locataires. Il n’est pas non plus contesté qu’un bailleur peut faire constater la nullité ou l’inefficacité d’un congé donné par le locataire, notamment pour éviter que le locataire ne mettre le congé à exécution – au demeurant, en l’espèce, l’intérêt digne de protection de la bailleresse à ce constat, avant le départ de la locataire, ne semble pas avoir été contesté (cf. c. 3.4 de l’arrêt). Dès lors que la procédure civile a pour vocation de servir la mise en œuvre du droit matériel (fonction auxiliaire, cf. ATF 139 III 457 c. 4.4.3.3, note sous art. 1, Généralités, 1.), il ne serait pas cohérent d’exclure la concrétisation procédurale de la protection contre les congés, càd. l’application de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC, lorsque c’est le bailleur, et non le locataire, qui demande protection contre un congé. 

8 Au demeurant, dans le contexte de la fin d’un bail, le texte de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC exige uniquement que le litige concerne « la protection contre les congés », sans distinguer selon la partie au contrat qui invoque cette protection. Seule la nature du litige est décisive (dans le même sens : note M. Heinzmann sur l’arrêt TC/VD du 14.6.2027 précité [supra N 3] in newsletter du 28.2.2018). Certes, le Message (p. 6955) parle d’une « exception » à la limite de valeur litigieuse de l’art. 243 al. 1 CPC « dans les domaines centraux de la protection des locataires (protection contre les loyers abusifs et contre les congés) ». Cette formule n’est cependant pas décisive à notre avis : elle évoque simplement le cas, de loin le plus fréquent, où il s’agit de protéger le locataire contre un congé donné par le bailleur. On ne peut en déduire que dans l’hypothèse inverse, le législateur aurait voulu exclure l’application de la procédure simplifiée indépendamment de la valeur litigieuse. Si le litige porte sur la fin d’un bail encore en cours, il concerne la protection contre les congés ; il n’y a pas à déterminer en sus si dans le cas concret, une partie a effectivement besoin de protection, ni à distinguer selon que la protection contre le congé est invoquée par le locataire ou par le bailleur.

9 Il est certes admis que dans le procès civil dit social, la procédure simplifiée est applicable dans le but de protéger la partie réputée faible. Peu importe cependant qui, du locataire ou du bailleur, a la position de demandeur (cf. ATF 142 III 690 précité, c. 3.1, qui cite certes l’exemple, le plus fréquent, du bailleur qui requiert l’expulsion du locataire ou le constat de la fin du bail, et non celui, bien plus rare, dans lequel le bailleur veut maintenir un bail qui est encore en cours ; il n’en demeure pas moins que dans ces deux cas où le bailleur est demandeur, la cause concerne la protection contre les congés au sens de l’art 243 al. 2 lit. c CPC ; même le présent arrêt n’affirme pas le contraire, cf. infra N 10). En outre, lorsque la procédure simplifiée est applicable, elle bénéficie aux deux parties, et non uniquement à la partie dite faible. On ne voit dès lors pas pourquoi, lorsque la nature de l’action correspond en soi à la protection contre les congés au sens de l’art. 243 al. 2 lit. c CPC, l’on devrait exclure l’application de la procédure simplifiée au motif que cette protection est invoquée par la partie réputée forte (le bailleur) et non par le locataire. Au contraire, il faut, mais il suffit, que le litige concerne l’une des affaires visées par l’art. 243 al. 2 lit. c CPC. 

10 Au demeurant, le fait qu’un locataire n’ait pas besoin d’une protection contre le congé, dès lors qu’il l’a lui-même signifié, n’implique pas encore qu’il n’ait pas besoin de protection procédurale lorsque ce congé est contesté par le bailleur, ni que le bailleur n’ait pas lui-même droit à une telle protection lorsqu’il conteste, à titre principal et avant la fin du bail, un congé donné par le locataire. Le critère souligné par le TF (supra N 3), soit le besoin de protection du locataire contre le congé, ne nous semble donc pas tout à fait décisif : il s’impose certes d’appliquer la procédure simplifiée lorsque le locataire risque de devoir quitter les locaux loués contre son gré; en revanche, l’absence d’un tel risque ne suffit pas pour exclure cette procédure si, par ailleurs, la nature du litige concerne la « protection contre les congés », que le droit matériel ne limite pas à la seule protection du locataire (supra N 7). Du reste, en l’espèce, le TF ne s’est pas prononcé sur la procédure applicable au moment où le locataire avait résilié le bail, mais n’avait pas encore quitté les locaux, càd. lorsque la question de la fin du bail se posait à titre principal (supra N 3). 

11 Il en résulte, à notre avis, que jusqu’au départ de la locataire et la modification des conclusions de la bailleresse, la procédure simplifiée était applicable. Dès lors que la demande a bien été modifiée (supra N 4), l’art. 227 CPC s’appliquait également. Il en résulte que les conclusions nouvelles, soumises à la procédure ordinaire (supra N 3) n’étaient pas recevables, faute d’identité de procédure applicable (art. 227 al. 1 CPC). La demande initiale en constat ayant en outre perdu son intérêt pour la bailleresse ensuite du départ de la locataire et de l’ajout de la conclusion en paiement, le juge aurait dû rayer la procédure du rôle faute d’objet (art. 242 CPC, applicable lorsque la demande répond initialement à un intérêt digne de protection au sens de l’art. 59 al. 2 lit. a CPC, mais que cet intérêt disparaît au cours du procès : cf. ATF 146 III 416 c. 7.4 et TF 4A_226/2016 du 20.10.2016 c. 5, notes sous art. 59 al. 2 lit. a, 1.a. et in newsletter du 11.1.2017), en pouvant alors répartir les frais du procès selon l’art. 107 al. 1 lit. e CPC. La radiation du rôle selon l’art. 242 CPC n’ayant pas autorité de chose jugée au fond (TF 5A_717/2020 du 2.6.2021 c. 5.3.1, note sous art. 242, B.3.), pas plus que la décision d’irrecevabilité de la demande modifiée, rien n’aurait empêché le bailleur de présenter ses conclusions en paiement dans une nouvelle procédure, menée en forme ordinaire, fondée sur le même complexe de faits que la précédente.

Proposition de Citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2024-N7, n°…

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