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Action en contestation de l’état de collocation : l’intérêt digne de protection ne se limite pas au dividende à gagner

TF 5A_535/2018* du 15.1.2020  c. 3.2 - 3.3

Art. 250 et 260 LP ; art. 59 al. 2 lit. a CPC - FAILLITE D’UNE PERSONNE MORALE – DIVIDENDE PROBABLE NUL – ACTION EN CONTESTATION DE L’ÉTAT DE COLLOCATION – INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ DU DEMANDEUR ?

(c. 3.2) Lorsque le dividende revenant probablement à la créance litigieuse est de 0%, le gain du procès à l’issue d’une action en contestation de l’état de collocation dans la faillite pendante n’a pas de valeur en argent. Selon la jurisprudence, en raison des effets de l’acte de défaut de biens, une procédure en collocation est recevable même lorsque la part revenant dans la faillite à la prétention contestée sera probablement de zéro (ATF 82 III 94). Dans la faillite de personnes morales, se pose la question de savoir si le demandeur a un intérêt digne de protection à ce que la contestation de l’état de collocation soit tranchée (ATF 138 III 675 c. 3.3). (c. 3.3.1) Dans le procès en collocation positive, l’intérêt digne de protection est admis lorsque le demandeur entend requérir la cession de prétentions selon l’art. 260 LP (TF 5A_94/2014 du 2.5.2014 c. 1.1.2). Même dans le procès en collocation négative, il est admis que le demandeur a un intérêt suffisant, lorsqu’il allègue vouloir se faire céder des prétentions selon l’art. 260 LP (TF 5A_878/2012 du 26.8.2013 c. 1.2.1.2). (c. 3.3.2-3.3.4) Le créancier dont l’action en collocation négative tend à éviter la cession (art. 260 LP) d’une prétention dirigée contre lui-même (en tant que tiers débiteur) procède contre le concurrent en se fondant sur un intérêt propre suffisant et sur l’intérêt de la masse à l’épuration des créances produites. Lorsque le dividende est de zéro, un intérêt indirect particulier du demandeur peut être considéré comme digne de protection. Il ne se justifie pas de qualifier d’emblée d’indigne de protection l’intérêt du demandeur à éviter que des prétentions soient cédées (art. 260 LP), afin de ne pas devoir lui-même faire face à un procès. (c. 3.3.5) Le raisonnement selon lequel, dans un procès en contestation de l’état de collocation, « ce qui est en  jeu, non seulement en fait mais aussi en théorie, est plus que le simple dividende qui sera versé dans la faillite pour désintéresser les créanciers », permet d’admettre un intérêt digne de protection du créancier même lorsque le demandeur craint d’être actionné par le créancier défendeur.

2020-N7 Action en contestation de l’état de collocation : l’intérêt digne de protection ne se limite pas au dividende à gagner
Note F. Bastons Bulletti

1 Comme toute procédure, l’action en contestation de l’état de collocation n’est recevable que si le demandeur a un intérêt digne de protection à faire reconnaître son droit par le tribunal (art. 59 al. 2 lit. a CPC), càd. si l‘admission de sa demande peut avoir un effet positif sur sa situation. Cet intérêt peut être de nature juridique ou de fait, économique ou idéal, pourvu qu’il soit suffisant (digne de protection), ce qui implique en général qu’il soit personnel (sous réserve des cas de Prozessstandschaft, où le droit autorise le demandeur à invoquer en son propre nom le droit d’autrui), actuel et pratique. A cet égard, l’action en contestation de l’état de collocation présente quelques particularités : il résulte en effet de la jurisprudence, dont le présent arrêt ne s’écarte pas, que, d’une part, non seulement l’intérêt personnel du créancier demandeur, mais aussi celui la masse en faillite, est pris en considération. D’autre part, il n’est pas nécessaire que l’intérêt soit immédiat : même un intérêt indirect, qui ne se réalisera qu’hypothétiquement, peut être digne de protection.

2 Dans une action en contestation de l’état de collocation, le demandeur agit soit contre la masse en faillite, au sujet de la collocation de sa propre créance (action en collocation positive, art. 250 al. 1 LP), soit contre un autre créancier, dont il conteste la collocation de la créance (action en collocation négative, art. 250 al. 2 LP). Dans les deux cas, l’intérêt direct du demandeur réside dans le fait que s’il obtient gain de cause, il percevra un dividende, ou un supplément de dividende : s’il agit en collocation positive, il s’agit du dividende afférent au montant contesté de sa propre créance; en cas d’action en collocation négative, il s’agit du dividende afférent à la (part de) créance contestée du défendeur, jusqu’à concurrence de la production du demandeur; le surplus éventuel revient aux autres créanciers (art. 250 al. 2 LP), de sorte que la masse en faillite aussi a un intérêt direct à l’action (ATF 115 III 68 c. 3 ; infra N 6). Cet intérêt détermine la valeur litigieuse : celle-ci équivaut non pas au montant de la créance contestée, dont l’existence ne sera pas tranchée avec autorité de chose jugée, mais à celui qui, en cas de succès, reviendra au demandeur voire à la masse (en cas d’excédent selon l’art. 250 al. 2 LP), soit au dividende afférent à la créance contestée (arrêt de principe du 17.2.1939, ATF 65 III 28 c. 1 i.f. ; ATF 138 III 675 c. 3.1 ; 140 III 65 c. 3.2, notes sous art. 91 al. 2, 2.). Il n’y a ainsi d’intérêt direct à l’action en contestation de l’état de collocation que lorsqu’au moment de l’introduction de l’action (ATF 140 précité, c. 3.2), le dividende prévisible n’est pas nul. Dans le cas contraire en revanche, le dividende afférent à la créance litigieuse étant de zéro, l’avantage que peuvent directement retirer le demandeur et la masse, càd. le gain du procès à l’issue de l’action en contestation de l’état de collocation, n’a pas de valeur en argent (cf. ATF 138 III 674 c. 3.4, note ibid.).

3 Néanmoins, dans le cas d’un dividende nul, la jurisprudence a depuis longtemps admis qu’un intérêt indirect pouvait suffire. Celui-ci peut consister en l’avantage, en cas de succès de l’action en contestation, d’obtenir un acte de défaut de biens pour un montant qui pourra cas échéant être recouvré dans une nouvelle poursuite, si le failli revient à meilleure fortune (ATF 82 III 94; 138 III 675 c. 3.3). Au stade de l’action en contestation de l’état de collocation, cet intérêt au recouvrement n’est qu’indirect, dès lors qu’il suppose encore que le failli revienne à meilleure fortune et que lui-même ou un tribunal reconnaisse la dette ; il est néanmoins jugé suffisant. Dès lors que cet intérêt n’est que symbolique ou en tout cas, sans lien avec le gain immédiat du procès en collocation, la valeur litigieuse correspond alors à un montant minimal, en tout cas pas supérieur à CHF 10’000 (ATF 82 précité ; ATF 138 III 675 c. 3.4.2 et TF 5A_878/2012 du 26.8.2013 c. 1.2.1, notes sous art. 91 al. 2, 2.).

4 Cette possibilité de recouvrement ultérieur en cas de retour à meilleure fortune, déjà qualifiée de ténue (ATF 82 précité), est toutefois inexistante lorsque le failli est une personne morale, qui sera radiée du registre du commerce à la clôture de la faillite (art. 159 al. 5 ORC) et ne pourra ainsi plus être poursuivie (cf. ATF  138 III 675 c. 3.3; TF 5A_484/2010 du 20.12.2010 c. 4.2.3). Quant à la possibilité que de nouveaux actifs apparaissent ultérieurement (après la clôture de la faillite, art. 269 LP), ce qui permettrait la réouverture de la faillite, le TF a jugé qu’elle pouvait ne pas être prise en considération, du moins pour calculer la valeur litigieuse de l’action en contestation de l’état de collocation (ATF 65 III 28 c. 2), voire pour fonder un intérêt à cette action (TF 5A_484/2010 précité, ibid.).

5 Néanmoins, même dans la faillite d’une personne morale, le fait que le dividende prévisible est de 0% n’exclut pas d’emblée un intérêt – indirect – à l’action en contestation de l’état de collocation. Ainsi, il a été admis:

5a – que le demandeur a un intérêt suffisant à agir en collocation négative contre un autre créancier (art. 250 al. 2 LP), pour obtenir la réduction de la créance de ce dernier admise à l’état de collocation, afin qu’en cas de cession des prétentions – en responsabilité des organes de la faillie – de la masse en faillite (art. 260 LP), le défendeur, dans la répartition du produit de ces prétentions entre les cessionnaires (cf. art. 260 al. 2 LP), ne reçoive pas trop (ATF 138 III 675 c. 3.4) ;

5b – que le demandeur a également un intérêt suffisant à agir en collocation – positive ou négative – lorsqu’il a l’intention de se faire céder des prétentions de la masse en faillite (art. 260 LP), notamment des créances en responsabilité contre les organes de la personne morale. En effet, d’une part, cette cession ne peut avoir lieu qu’à l’égard des créanciers admis à l’état de collocation ; d’autre part, dans l’action fondée sur cette cession, ni la qualité de créancier, ni la créance du cessionnaire inscrite à l’état de collocation, ne peuvent être remises en cause (ATF 132 III 342 c. 2.4). Enfin, selon l’art. 260 al. 2 LP, le cessionnaire qui obtient gain de cause voit sa créance colloquée payée en priorité sur le produit du procès, l’éventuel surplus revenant à la masse. Cet intérêt, qui ne se concrétise que si le créancier obtient cession des droits de la masse, agit et obtient gain de cause, et si enfin, il obtient effectivement un paiement, est évidemment indirect (TF 5A_878/2012 du 26.8.2013 c. 1.2.1.2 et TF 5A_94/2014 du 2.5.2014 c. 1.1.2) ;

5c – que le demandeur a enfin un intérêt suffisant à agir en collocation positive, afin d’avoir la possibilité, en tant que créancier, d’empêcher que soit introduite une action en dommages-intérêts contre des membres de sa famille, organes de la faillie ; le TF souligne que selon la doctrine, un ex-administrateur de la faillie a un intérêt juridiquement protégé à agir par une action – positive – en contestation de l’état de collocation, s’il entend compenser la créance à colloquer avec d’éventuelles prétentions en responsabilité (TF 5A_484/2010 du 20.12.2010 c. 4.2.1 et 4.2.4).

6 En l’espèce, le demandeur à l’action en collocation – négative -, ancien organe de la faillie, avait pour but d’écarter un autre créancier qui pouvait, en tant que cessionnaire de la prétention de la masse (art. 260 LP), diriger contre lui (le demandeur) une action en responsabilité du droit de la SA. Le tribunal cantonal a estimé que l’intérêt du demandeur à échapper à cette action n’était pas digne de protection, la démarche relevant d’un abus de droit. Le TF rappelle (c. 3.3.2 de l’arrêt) que certains auteurs et arrêts cantonaux admettent au contraire l’intérêt du demandeur dans ce cas. Dans sa précédente jurisprudence, le TF a certes nié un tel intérêt, mais au motif que le défendeur, en l’espèce, était de toute façon définitivement admis à l’état de collocation pour une autre créance, ce qui lui suffisait à obtenir la cession (art. 260 LP) et à agir ensuite en responsabilité contre le demandeur (TF 5C.185/2002 du 31.10.2002 c. 2.2). Plus tard, dans un cas similaire, il a expressément laissé ouverte la question de savoir si le demandeur pouvait invoquer un intérêt juridiquement protégé lorsque son action tend, en écartant un créancier, à éviter une action ultérieure contre lui-même (TF 5A_720/2007 du 24.4.2008 c. 2.3). Dans le présent arrêt, le TF admet, d’une part, que le demandeur a dans ce cas un intérêt personnel à agir en collocation négative (c. 3.3.3 de l’arrêt). D’autre part, il relève que le demandeur fait aussi valoir le droit de la masse elle-même, que celle-ci a renoncé à invoquer lorsqu’elle a admis la créance du défendeur à l’état de collocation, à ce que l’état de collocation soit épuré et ne comporte que des créances fondées (c. 3.3.4 de l’arrêt et réf. : CJ/GE du 11.12.2018 [CJC/1740/2018] c. 1.2.2; ATF 115 III 68 c. 3, dans lequel il est souligné que le demandeur à l’action en contestation, comme le créancier cessionnaire des droits de la masse selon l’art. 260 LP, fait valoir en son nom des droits qui appartiennent à la masse). Même lorsque le dividende prévu est de zéro, et qu’ainsi un excédent au sens de l’art. 250 al. 2 LP est exclu, les créanciers ont encore un intérêt – indirect – à cette épuration, dans l’éventualité d’une réouverture de la faillite, l’état de collocation étant aussi obligatoire dans ce cas. Tant l’intérêt propre du demandeur que celui de la masse en faillite sont estimés suffisants (cf. déjà ATF 115 précité, c. 3 i.f., qui admet que même le seul intérêt de la masse suffit à la recevabilité de l’action ; il s’agissait toutefois en l’espèce d’un intérêt direct [supra N 2] ; cf. ATF 138 III 675 c. 3.1 : l’intérêt du demandeur au litige n’est pas seul déterminant, mais bien celui du demandeur et de la masse). Notamment, dès lors que l’enjeu de l’action peut dépasser le simple intérêt à augmenter le montant qui sera recouvré, un intérêt à éviter d’être actionné par un autre (prétendu) créancier, cessionnaire de la masse, n’est pas d’emblée indigne de protection (c. 3.3.4 et 3.3.5 de l’arrêt).

7 La motivation et la solution choisie nous semblent convaincantes. Elles tiennent compte du fait, déjà admis par la jurisprudence depuis l’ATF 82 III 94 (même si cet arrêt n’envisageait que l’intérêt à la délivrance d’un acte de défaut de biens, supra N 3), que les intérêts du demandeur à l’action en contestation ne se limitent pas nécessairement à l’intérêt immédiat à recouvrer un montant plus élevé. Or, dès lors que dans le procès en responsabilité introduit après cession des droits de la masse (art. 260 LP), la qualité de créancier du cessionnaire et le montant de sa créance ne peuvent plus être contestés (ATF 132 III 342 c. 2.2-2.3), celui qui serait défendeur à ce procès a en tout cas un intérêt digne de protection à ce que son concurrent ne puisse agir contre lui, si celui-ci n’est pas effectivement créancier de la faillie dont il entend faire valoir les prétentions. Quant à l’intérêt de la masse à l’épuration de l’état de collocation, il se concrétise si malgré l’estimation du dividende, un produit peut finalement être réparti; tel est le cas si la masse, ou un créancier cessionnaire (art. 260 LP), fait valoir avec succès des prétentions contestées de la faillie et qu’il en résulte un produit, respectivement un excédent (art. 260 al. 2 LP), ou si des actifs, dont le produit permet de verser un dividende, sont ultérieurement découverts. Dans ces hypothèses, la masse a intérêt à ce que ce produit ne soit réparti qu’entre de véritables créanciers. Même si cet intérêt n’est qu’indirect et n’est pas propre au demandeur à l’action en contestation de l’état de collocation, il doit être pris en considération. En outre, rien ne justifie que la possibilité, pour un ancien organe de la faillie, d’agir en collocation négative afin d’écarter un autre prétendu créancier et d’éviter d’être actionné en responsabilité, dépende en définitive du fait que le dividende prévu dans la faillite dépasse ou non 0%. Enfin, comme le relève le TF (c. 3.3.5 de l’arrêt), nul ne conteste que l’ancien organe de la faillie, s’il est créancier, a bien un intérêt à contester la cession même des droits de la masse par une plainte à l’autorité de surveillance (art. 17 LP). Il n’en va pas autrement lorsqu’il conteste non pas la cession, mais la qualité même de créancier du défendeur.

 

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2020-N7, n°…

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