Les mesures protectrices de l’union conjugale ou les mesures provisionnelles de divorce jouissent d’une autorité de la chose jugée relative (ATF 142 III 193 c. 5.3 i.f. et réf.). Elles peuvent ainsi être modifiées (pour l’avenir) ou révoquées selon l’art. 179 al. 1 CC (applicable aux mesures provisionnelles de divorce par renvoi de l’art. 276 al. 1 CPC) en cas de changement essentiel et durable des circonstances de fait survenu postérieurement à leur prononcé. Ce motif spécifique de modification n’exclut toutefois pas les motifs généraux de révision de l’art. 328 al. 1 CPC (TF 5A_842/2015 du 26.5.2016 c. 2.4, n.p. in ATF 142 III 518), à la différence du régime ordinairement applicable aux mesures provisionnelles (ATF 138 III 382 c. 3 [décision sur opposition à l’ordonnance de séquestre non susceptible de révision]). Avant l’entrée en vigueur du CPC, la jurisprudence avait déjà réservé la voie de la révision des mesures provisionnelles dites de réglementation, telles que les mesures provisoires pendant la procédure de divorce (ATF 127 III 496 c. 3b/bb i.f., qui demeure valable sous l’empire du CPC, ATF 139 III 126 c. 4.4; TF 5A_97/2017 du 23.8.2017 c. 11.2). Récemment, le Tribunal fédéral a précisé que l’action en modification au sens de l’art. 179 CC ne peut se fonder que sur de vrais nova, de sorte que seule la voie de la révision est ouverte lorsqu’il s’agit d’invoquer des pseudo nova qui ne pouvaient être présentés avant le début des délibérations d’appel (ATF 143 III 42 c. 5.2 et 5.3).
2019-N16 – Faits nouveaux connus après le prononcé de mesures provisoires de réglementation : action en modification, ou révision ?
Note F. Bastons Bulletti
1 Une procédure de mesures protectrices de l’union conjugale s’est achevée en novembre 2017 par une décision de la Cour d’appel. Une année plus tard, l’épouse a introduit une demande de révision auprès de cette Cour, en invoquant, d’une part, un fait antérieur à la clôture de la procédure précédente – soit des revenus accessoires que son mari aurait dissimulés, établis par une facture du mois de juillet 2017 -, mais qu’elle n’avait découvert qu’en septembre 2018, et, d’autre part, un fait qui s’était produit après la procédure de mesures protectrices – soit le fait que son mari avait conclu un nouveau contrat de travail depuis le 1er octobre 2018. Sa demande en révision ayant été déclarée irrecevable, l’épouse a recouru au TF.
2 Faute de motivation suffisante, son recours, dirigé contre une décision de mesures provisionnelles au sens de l’art. 98 LTF, a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Néanmoins, le TF a eu l’occasion de préciser clairement un point important, s’agissant de la délimitation entre la modification et la révision des mesures provisionnelles de réglementation.
3 En effet, d’une part, la loi prévoit la possibilité de modifier les mesures provisoires, telles les ordonnances d’instruction (cf. art. 126 i.f. CPC, notes sous art. 124 et ég. note infra, newsletter 2019-N16), ou les décisions de mesures provisionnelles en général (art. 268 al. 1 CPC). Elle prévoit également la possibilité de modifier les mesures provisionnelles dites de réglementation, càd. des mesures destinées à régler les relations des parties pendant le procès, et sur lesquelles la décision principale ultérieure ne peut pas revenir (p.ex. les mesures protectrices, art. 179 CC, ou les mesures provisionnelles de divorce, art. 276 al. 1 et 2 CPC cum art. 179 CC ; ATF 142 III 193 c. 5.3, note sous art. 276, B.). D’autres décisions encore sont modifiables de par la loi, alors même qu’elles n’ont pas un caractère provisoire, telles p.ex. les décisions de divorce (art. 129, 134, 286 CC, art. 284 CPC), ou les décisions de la juridiction gracieuse (art. 256 al. 2 CPC).
4 D’autre part, le CPC prévoit la possibilité de réviser une décision, pourvu qu’elle soit entrée en force et qu’un motif de révision selon l’art. 328 al. 1 lit. a-c ou al. 2 CPC soit réalisé. Cette voie de droit extraordinaire a pour but de pallier, dans des cas jugés graves, l’impossibilité de remettre en cause une décision entrée en force, càd qui n’est pas ou plus susceptible d’une voie de droit avec effet suspensif (de l’entrée en force). En effet, une telle décision est revêtue en principe de l’autorité de chose jugée, dont les effets (positif [préjudiciel], négatif et exclusif [de forclusion], cf. notes sous art. 59 al. 2 lit. e, 3. et 4.) font obstacle à toute nouvelle action entre les mêmes parties sur le même objet, ou sur un objet impliquant l’examen, à titre préjudiciel, de la question tranchée à titre principal dans la première décision, et ce même si cette nouvelle action est fondée sur des faits ou moyens de preuves qui étaient ignorés dans la procédure précédente, dans la mesure où ces éléments existaient avant la clôture de cette procédure (pseudo nova) et se rattachent naturellement à la prétention invoquée dans le premier procès; si en revanche, la nouvelle action est fondée sur des faits survenus après la clôture de la procédure précédente (vrais nova), elle est recevable, puisque son objet est ainsi différent du premier (cf. not. le récent arrêt TF 4A_563/2017* du 19.2.2019 c. 5.1 et réf., note in newsletter 2019-N12). La révision permet précisément, à certaines conditions (art. 328 al. 1 lit. a-c et al. 2 CPC), de rompre l’autorité de chose jugée, càd d’annuler la décision entrée en force, ouvrant la voie à une nouvelle décision dans la même cause, entre les mêmes parties, fondée sur ces pseudo nova. Ainsi, la révision n’est ouverte que contre une décision revêtue de l’autorité de chose jugée, càd. qui ne peut plus être corrigée par un autre moyen de droit.
5 Dans un arrêt publié (ATF 138 III 382 c. 3.2.1, note sous art. 328 al. 1, A.), le TF en a déduit qu’une décision de mesures provisionnelles ordinaires n’est pas susceptible de révision : elle n’entre que formellement en force, mais n’est précisément pas revêtue de l’autorité de chose jugée, dans la mesure où elle est largement modifiable en tout temps (art. 268 al. 1 CPC), en présence de faits nouveaux (vrais nova ou pseudo nova, v. p.ex. art. 268 al. 1 CPC). Une demande de révision dirigée contre une mesure provisionnelle ordinaire est ainsi irrecevable. Il en va de même des décisions de la juridiction gracieuse (art. 256 al. 2 ; ATF 143 III 43 c. 2.5, note sous art. 268) et des ordonnances d’instruction (art. 124 CPC ; TF 5A_1002/2017 du 12.3.2019 c. 4.3.1 ; TF 5A_872/2018 du 27.2.2019 c. 3.3.2, v. note infra, newsletter 2019-N17, n. 3 ; ég. ZPO Komm-Freiburghaus/Afheldt art. 328 N 8a ; CR CPC-Schweizer art. 328 N 10 ; BK ZPO-Sterchi art. 328 N 7) : toutes ces décisions sont modifiables en tout temps, soit par une reconsidération, si des pseudo nova sont invoqués (voire sans nova, s’il s’agit d’une décision de la juridiction gracieuse, cf.
TF 5A_570/2017 du 27.8.2018 c. 5.2 – 5.3, note sous art. 256 al. 2 et in newsletter du 25.10.2018), soit par une nouvelle requête, s’il s’agit de vrais nova (TF 5A_299/2015 du 22.9.2015 c. 3.2 pour l’assistance judiciaire, qualifiée soit de décision de la juridiction gracieuse, soit d’ordonnance d’instruction). Dès lors, la révision n’est ni nécessaire, ni possible. En revanche, les autres décisions prononcées en procédure sommaire – en général dans une procédure sommaire atypique, avec examen complet des faits et du droit (cf. notes sous art. 248, Généralités, en part. ATF 144 III 100 c. 6) – ont pleine autorité de chose jugée et sont dès lors sont irrévocables, sous réserve d’une révision, qui est évidemment recevable (ATF 143 précité, ibid.).
6 Il en résulte que pour ces décisions non sujettes à révision, la modification, lorsqu’elle elle est fondée sur des pseudo nova, constitue une sorte de révision facilitée, justifiée par le caractère typiquement sommaire de la procédure qui a conduit à la décision. Les conditions d’une modification sont en effet plus larges que celles d’une révision, soumises aux restrictions résultant des art. 328 ss CPC : ainsi p.ex., peu importe pour la modification de ces décisions que les faits et preuves nouveaux soient des pseudo nova, ou de vrais nova, alors que cette question est essentielle pour la recevabilité d’une révision (cf. ATF 142 III 413 c. 2.2.6, note sous art. 328 al. 1, C.a. et in newsletter du 23.6.2016 ; ATF 143 III 272 c. 2.2-2.4, note ibid. et in newsletter du 8.6.2017). En revanche, au contraire de la révision, qui conduit à l’annulation de la décision en cause et à une nouvelle décision qui la remplace, la modification n’a en principe d’effets qu’ex nunc et pro futuro. Une rétroaction n’est toutefois pas exclue, dans des situations exceptionnelles (v. p.ex. pour un retrait ex tunc de l’assistance judiciaire, TF 5A_569/2017 du 4.8.2017 c. 5.1, note sous art. 120).
7 La situation était moins claire pour les décisions de mesures provisionnelles de réglementation.
7a Dans un arrêt publié (ATF 141 III 376 c. 3.4, note sous art. 276 al. 2, D.1.a. et in newsletter du 18.11.2015 ; v. ég. ATF 142 III 193 c. 5.3, note sous art. 276 al. 1, B.), le TF a précisé que ces décisions sont revêtues d’une autorité limitée de chose jugée : elles sont modifiables – avec effet ex nunc -, mais uniquement en cas de changement de circonstances (càd. de survenance de vrais nova); au reste, elles sont obligatoires et l’exception de chose jugée peut être opposée à une nouvelle requête, lorsque celle-ci repose sur un état de fait entièrement identique à celui d’une précédente requête. L’autorité de chose jugée ainsi décrite semblait impliquer la possibilité d’une révision, si des pseudo-nova venaient à être découverts après la clôture de la procédure, mais l’arrêt ne donnait pas d’autres précisions à cet égard.
7b Dans un arrêt ultérieur, le TF a énoncé que pour ces mesures, « des motifs spéciaux de modification, largement formulés, complètent les motifs généraux de révision », toujours sans indiquer précisément si et comment les deux voies coexistent (TF 5A_842/2015 du 26.5.2016 c. 2.4 n.p. in ATF 142 III 518, note sous art. 276 al. 2, D.1.a.).
7c Un peu plus tard (ATF 143 III 42 c. 5.2, note sous art. 276 al. 2, D.1.b. et in newsletter du 11.1.2017), il a souligné que seuls de vrais nova – auxquels sont assimilés les moyens de preuves véritablement nouveaux, mais destinés à prouver un fait qui constitue un pseudo nova – permettent une demande de modification, ce qui confirmait a contrario – dans le même sens que le présent arrêt – que pour invoquer des pseudo nova, la voie de la révision est ouverte et doit être utilisée.
7d Toutefois, un an plus tard, un nouvel arrêt (ATF 143 III 617 c. 3.1) confirmait une jurisprudence régulièrement rappelée en parallèle aux arrêts précités (TF 5A_136/2014 du 5.11.2014 c. 3.2 ; 5A_235/2016 du 15.8.2016 c. 3.1 et réf.; ég. notes sous art. 276 al. 2, D.1.b, en part. TF 5A_400/2012 du 25.2.2013 c. 4.1), selon laquelle la modification est aussi ouverte si les faits qui ont fondé le choix des mesures dont la modification est sollicitée se sont révélés faux, ou si la décision de mesures protectrices ou provisionnelles est apparue plus tard injustifiée parce que le juge appelé à statuer n’a pas eu connaissance de faits importants – autrement dit, lorsque des pseudo nova sont découverts.
8 Le présent arrêt apporte une réponse tout à fait claire: dans le cas de mesures provisoires de réglementation, de vrais nova – et eux seuls – fondent une nouvelle action, càd. une demande de modification. Des pseudo nova doivent être invoqués par la voie de la révision. On ne peut que saluer cette décision, qui fait apparaître un système clair et cohérent.
9 Cela étant, il est des cas – comme en l’espèce – où il s’agit d’invoquer à la fois des pseudo nova et de vrais nova : la demande en modification relève alors du juge de première instance, alors que la révision est de la compétence du juge qui a statué en dernière instance (art. 328 al. 1 CPC) ; il peut s’agir – comme en l’espèce – du juge d’appel ou de recours cantonal. Il n’est pas très heureux que deux juges différents se prononcent sur l’existence et la portée de motifs de révision et de modification invoqués simultanément et qui concernent la même prétention (ici, l’entretien). Cependant, l’une des procédures – a priori celle de modification, qui peut difficilement être jugée alors que la décision à modifier risque d’être tout bonnement annulée ensuite d’une révision – peut au besoin être suspendue (art. 126 CPC) jusqu’à droit connu sur l’autre procédure. On pourrait en outre envisager que si elle admet le principe d’une révision, la Cour d’appel annule la décision précédente (art. 332 et 333 al. 1 CPC), puis renvoie la cause au premier juge pour rendre la nouvelle décision de mesures protectrices, en tenant compte aussi des vrais nova motivant la demande de modification. Cette possibilité de renvoi, qui ne résulte pas du texte de l’art. 333 al. 1 CPC, ne fait toutefois pas l’unanimité en doctrine.
10 Quoi qu’il en soit, en l’espèce, la recourante déboutée pourra agir, comme l’avait prescrit le juge précédent qui a déclaré la demande de révision irrecevable – à tort, s’agissant des pseudo nova, mais en définitive sans conséquences sur sa décision (n. 2) -, par l’unique voie de la modification des mesures protectrices. Il sera alors difficilement compatible avec le principe de la bonne foi, qui s’impose aussi aux autorités (art. 52 CPC), d’opposer à l’épouse, dans cette procédure, le fait que les nova qu’elle invoque ne sont pas (tous) véritablement nouveaux.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N16, n…