(c. 3.3.1) La procédure de conciliation peut être remplacée par une médiation “si toutes les parties en font la demande” (art. 213 CPC). La médiation peut aussi intervenir pendant la procédure au fond (art. 214 CPC), sur requête commune des parties (al. 2). (c. 3.3.2) Il est douteux que, sous un tel régime, les accords préexistants prévoyant une médiation préalable en cas de litige (clauses de médiation) aient une portée procédurale: d’après les art. 213 al. 1 et 214 al. 2 CPC, le consentement des parties à effectuer une médiation doit exister au moment même où la demande est présentée à l’autorité de conciliation ou au juge du fond. Chaque partie pourrait ainsi revenir unilatéralement sur l’engagement antérieur de se soumettre à une médiation préalable; subsisterait la possibilité d’une peine conventionnelle si les parties en ont prévu une. Il semble acquis qu’une clause de médiation préalable ne peut entraîner l’irrecevabilité de la demande sous l’empire du CPC. (c. 3.4) On ne saurait non plus y voir un pactum de non petendo de nature matérielle, dont la violation ne pourrait conduire qu’au rejet de l’action : la clause de médiation ou de conciliation “privée” n’a habituellement pas d’effet sur l’existence et l’exigibilité des créances principales découlant du contrat qui la contient. (c. 3.5) S’il s’avère que la clause de médiation litigieuse n’envisage ce mode de règlement des litiges que comme préalable à la saisine du juge ordinaire, elle n’inclut pas d’engagement à ne pas effectuer des actes de poursuite avant d’avoir tenté la médiation. Enfin, lorsque le demandeur doit agir dans un bref délai péremptoire [en l’espèce, ouvrir action en libération de dette dans les 20 jours, cf. art. 83 al. 2 LP], dans une situation d’urgence de ce type, on ne saurait certes exiger de lui qu’il tente au préalable la médiation – sans compter l’obstacle que peut représenter l’art. 198 CPC [excluant la procédure de conciliation préalable dans le cas d’une action en libération de dette, cf. lit. e ch. 1, comme dans le cas de la procédure sommaire de mainlevée, cf. lit. a] à la tenue d’une procédure préalable de conciliation ou de médiation. Subsiste l’hypothèse d’une médiation pendant la procédure au fond, suspendue aux conditions de l’art. 214 CPC (le demandeur n’a cependant fait en l’espèce aucune démarche en ce sens). La clause de médiation ne peut en aucun cas entraîner l’admission de la demande au fond.
2020-N26 La clause de médiation préalable dans une procédure civile : un engagement, mais pas de sanction ?
Note F. Bastons Bulletti
1 Un contrat de courtage prévoit que « tous litiges, différends ou prétentions nés du présent contrat (…) seront soumis à la médiation » auprès de la Chambre de commerce de Lausanne; en cas d’échec de la médiation, le litige sera porté devant le tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne. L’une de ses factures demeurant impayée, alors que le mandant a établi une reconnaissance de dette, le courtier cède sa créance à une société – ce dont le mandant est informé. Celle-ci introduit une poursuite contre le mandant, dont l’opposition est ensuite levée ; sur recours, ce prononcé est confirmé. Le mandant introduit alors une action en libération de dette devant le tribunal civil. La poursuivante conclut au rejet de la demande. Dans sa réplique (seulement), le demandeur se plaint du non respect de la clause contractuelle de médiation et soutient qu’en conséquence, il n’est pas débiteur de la créance en cause. Le tribunal rejette sa demande ; sur appel, le tribunal cantonal confirme cette décision. Le mandant recourt en vain au TF.
2 Le TF retient, en substance, que la violation d’une clause de médiation ne peut avoir pour conséquence ni l’irrecevabilité de la demande (sanction de procédure), ni, habituellement, le rejet de la prétention (sanction de droit matériel), que le demandeur réclame. Au surplus, il semble, au vu de la clause de médiation, que celle-ci n’est en l’espèce pas un préalable obligatoire aux actes de poursuite auxquels la partie adverse a procédé, mais seulement à la saisine du juge ordinaire, opérée par le demandeur lui-même. De surcroît, le recourant n’a de toute manière pas invoqué la violation de la clause de médiation au cours de la procédure de poursuite, ni de mainlevée, ni même lors du dépôt de sa demande en libération de dette, mais seulement au stade de sa réplique. Il n’a de plus rien entrepris pour initier lui-même la médiation. Il devait certes introduire son action (sans procédure préalable de conciliation, cf. art. 198 lit. e ch. 1 CPC) dans un délai péremptoire (art. 83 al. 2 LP) qui ne permettait pas la mise en oeuvre préalable d’une médiation, mais il pouvait néanmoins demander une suspension de la procédure pour la durée nécessaire à ce processus (art. 214 CPC).
3 La clause de médiation, ancrée dans un contrat, est une forme de l’accord de médiation, par lequel les parties décident de recourir à la médiation pour résoudre un différend entre elles, actuel ou futur. Si la clause prévoit – comme en l’espèce jugée ici – la médiation comme préalable obligatoire à l’introduction d’une procédure, il s’agit alors d‘une clause de médiation préalable. Il s’agit de déterminer quelles sont les sanctions à appliquer en cas de violation de cette clause, càd. lorsque le juge (ou l’autorité de conciliation) est abordé(e) sans que la médiation obligatoirement prévue ait préalablement été mise en œuvre.
4 Les arrêts relatifs aux conséquences de la violation de clauses de médiation ne sont pas très fréquents. Dans la plupart des précédents, le TF a retenu que la clause de médiation n’avait pas un caractère obligatoire en l’espèce, et/ou qu’il était abusif d’en invoquer la violation, de sorte qu’il n’a pas statué sur la sanction attachée à cette clause, tout en exposant que la question est controversée (cf. notes sous art. 213, en part. TF 4A_18/2007 du 6.6.2007 c. 4.3.1). Il ne s’est prononcé à ce sujet que dans l’ATF 142 III 296 c. 2.4.4.1, concernant toutefois une clause de médiation préalable à une procédure arbitrale internationale, non réglée par le CPC (cf. art. 353 al. 1 CPC et 176 LDIP) : tenant le principe d’une sanction pour acquis, et tout en précisant que la sanction choisie ne pourrait sans doute pas s’adapter à tous les cas de figure, il a donné la préférence à une sanction du droit de procédure, consistant en ce que le tribunal arbitral, sur requête formulée in limine litis de l’une des parties, suspende la procédure afin qu’il soit procédé à la médiation. Le présent arrêt présente dès lors un intérêt, dans la mesure où le TF y évoque la sanction d’une clause de médiation dans une procédure civile. Il laisse cependant entendre que la solution qu’il a donnée dans l’ATF 142 précité ne serait pas transposée en procédure civile.
5 On peut analyser la clause de médiation préalable comme une convention de procédure, et en déduire une sanction procédurale, soit en premier lieu l’irrecevabilité de la demande introduite sans médiation préalable. Le TF écarte toutefois cette solution, en se référant à l’avis de la doctrine majoritaire, qui considère que selon le CPC, le respect d’une clause de médiation préalable n’est pas une condition de recevabilité de la demande, de sorte que l’irrecevabilité – que le juge devrait prononcer d’office (art. 60 CPC), même si aucune des parties ne veut plus de la médiation – n’entre pas en considération (cf. c. 3.3.2 de l’arrêt). Cette solution nous semble convaincante. Dans l’ATF 142 III 296 précité (supra, N 4), le TF a au demeurant également écarté l’irrecevabilité de la demande, estimant qu’il ne s’agissait pas de la solution la plus appropriée, notamment en raison du rallongement de la procédure et des coûts qu’elle occasionne.
6 Le TF met cependant aussi en doute, pour la procédure civile, la sanction procédurale qu’il a donnée, en accord avec une partie de la doctrine en matière d’arbitrage international, dans l’ATF 142 précité, soit la suspension de la procédure et le renvoi des parties en médiation par l’arbitre – respectivement, en procédure civile, par l’autorité de conciliation ou le juge du fond -, sur requête de la partie qui tient au respect de la clause. En se référant à une partie de la doctrine, le TF souligne qu’en procédure civile, selon les art. 213 et 214 CPC, la médiation suppose le consentement des deux parties « au moment même où la demande est présentée à l’autorité de conciliation ou au juge du fond » (c. 3.3.2 de l’arrêt). Il en résulte qu’à défaut de requête des deux parties, le juge saisi – ou l’autorité de conciliation, si le préalable de conciliation est obligatoire selon les art. 197 ss CPC – ne peut pas suspendre la procédure pour qu’il soit procédé à la médiation. Ainsi, à suivre cette opinion, on ne voit pas quelle sanction de procédure pourrait être appliquée, en procédure civile, si l’une des parties n’entend plus respecter son engagement antérieur de se soumettre à une médiation. Nous y reviendrons (infra N 8).
7 La clause de médiation préalable, contenue dans un contrat, constitue aussi un engagement selon le droit matériel. Si celui-ci n’est pas respecté, il s’agit d’une violation du contrat, qui pourrait être sanctionnée par le droit matériel. Le TF exclut cependant – à notre avis à raison – que cette sanction consiste dans le rejet de la demande au fond. Un arrêt zurichois, antérieur à l’introduction du CPC, a certes retenu cette solution (arrêt du 15.3.1999 (ZR 99 [2000], 86 n. 29, cf. note sous art. 213): la Cour de cassation zurichoise avait analysé la clause comme un pactum de non petendo, par lequel les parties s’obligent à ne pas aborder le juge avant d’avoir mené une procédure privée de médiation/conciliation ; considérant que ce pacte relevait du droit matériel, elle en a déduit que la sanction devait également relever du droit matériel et par conséquent, consister dans le rejet de la demande. Le TF La doctrine, à laquelle le TF se réfère (c. 3.4 de l’arrêt), considère cependant qu’une clause de médiation n’a généralement pas d’effets sur l’existence et l’exigibilité des créances visées par le contrat. L’arrêt ne fait pas mention d’autres sanctions de droit matériel envisagées en doctrine, telle la condamnation à s’exécuter ou, si l’on retient que la nature de l’obligation de mettre en œuvre une médiation ne se prête pas à un telle condamnation, l’octroi de dommages-intérêts. Le TF a cependant déjà écarté cette dernière solution en matière d’arbitrage international (ATF 142 précité c. 2.4.4.1), la considérant – à notre avis à juste titre – comme guère praticable et utile. On ne voit notamment pas bien comment déterminer si l’inobservation de la clause de médiation a causé un dommage, encore moins comment estimer celui-ci. Le TF mentionne néanmoins (c. 3.3.2 de l’arrêt) que le contrat peut prévoir une peine conventionnelle, à charge celui qui n’a pas respecté la clause.
8 Il résulte ainsi des considérants de l’arrêt que – sous réserve d’une peine conventionnelle prévue par les parties – le TF n’envisage pas de sanction de la clause de médiation préalable en procédure civile. Cependant, pour mettre en doute la solution qu’il a retenue pour l’arbitrage international (soit la suspension de la procédure sur requête d’une – seule – partie, ATF 142 précité), il se fonde sur l’opinion selon laquelle le CPC (art. 213 -214) exige que la médiation soit requise par les deux parties au moment même où la médiation devrait être mise en oeuvre (supra N 6). Or cet avis est contesté. Plusieurs auteurs admettent, au contraire, que dans le cas d’une clause de médiation préalable, il suffit que l’une seule des parties demande à l’autorité de conciliation le remplacement de la tentative de conciliation par la médiation convenue (art. 213 al. 1 CPC), ou, devant le juge, la suspension de la procédure jusqu’au terme du processus de médiation (art. 214 al. 2 CPC), pour que l’autorité de conciliation ou le juge doive y donner suite, même si à ce moment, l’autre partie ne veut plus de médiation (BK ZPO-Peter Intro art. 213-218 N 19, 56-58 et 60-63 ; idem : P. Wirz, Zum Sinn und Zweck von Mediationsklauseln in Verträgen, recht 2/2013, 92 ss, 94 ; BSK ZPO-Ruggle art. 213 N 9 ; ég. P. Kobel, Sanction des accords de médiation par le juge civil, RSPC 5/2018, 425 ss, III.4 ); cela revient à adopter, mutatis mutandis, la solution retenue pour l’arbitrage dans l’ATF 142 précité (ég. C. Levy, La sanction de l’inexécution d’une clause de conciliation et de médiation, RSPC 5/2016, 467 ss, Conclusion). Il faut certes réserver le cas, relativement fréquent et réalisé dans la présente affaire, de l’abus de droit du plaideur qui « garde en réserve » l’argument de l’absence de médiation préalable pour s’en prévaloir à des fins dilatoires, alors qu’il a jusqu’alors procédé sans émettre de réserve (sur le devoir de réaction immédiate cf. notes sous art. 52, B.a. ; ég., concernant une clause de médiation, TF 4A_18/2007 du 6.6.2007 c. 4.3.3.1 – 4.3.3.2, relevant que le recourant pouvait en tout temps demander la suspension de la procédure – en l’espèce, arbitrale – pour mettre en œuvre la médiation).
9 Ces avis nous semblent convaincants. La solution proposée permet en effet de sanctionner le non-respect de la clause, en application des règles – bien comprises – déjà contenues dans le CPC (art. 213 s.), tout en évitant des abus, par l’exigence d’une réaction immédiate. Le fondement volontaire de la médiation n’en est pas pour autant remis en cause : la volonté nécessaire a déjà été exprimée dans une convention, ce qui ne peut être ignoré. En outre, il ne s’agit que de mettre en oeuvre le processus de médiation, évidemment sans obligation de résultat, chaque partie pouvant y mettre un terme après une séance. Il ne s’agit pas non plus d’une vaine formalité, du seul fait que l’une des parties ne veut plus y procéder. Au contraire de ce que l’on pourrait croire a priori, l’expérience montre qu’obliger une partie à participer à un processus de médiation n’empêche souvent pas de parvenir à une solution amiable, même lorsqu’une procédure est déjà introduite. En outre, on ne voit pas en quoi, en procédure civile, le non-respect d’une clause de médiation mériterait moins de sanction qu’en procédure arbitrale, dans laquelle le TF a admis que la requête d’une partie suffit pour suspendre la procédure afin de mettre en œuvre la médiation convenue, tout en soulignant qu’il ne suffit pas de prétendre qu’une médiation paraît vaine pour se délier de ses engagements (ATF 142 précité, c. 2.4.3.2 i.f.). En procédure civile, la jurisprudence récente a par ailleurs précisé qu’une audience de conciliation doit obligatoirement avoir lieu, même lorsque le défendeur déclare d’avance qu’il n’y participera pas (cf. ATF 146 III 185 c. 4, note sous art. 204 al. 3, en part. c. 4.4.3). On ne voit pas pourquoi, pour la médiation, on devrait accorder plus de poids au refus d’une partie de respecter les engagements qu’elle a pris librement. Les considérations exposées dans l’ATF 146 précité devraient dès lors prévaloir aussi en matière de médiation : il n’est pas moins utile de maintenir une séance de médiation qu’une audience de conciliation, même lorsqu’une partie n’en veut pas.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in Newsletter CPC Online 2020-N26, n°…