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Appel partiel et maxime d’office: le juge peut-il intervenir sur des points non attaqués ?

TC/FR du 27.8.2020 (101 2020 72*) c. 1.3.2

Art. 67, 315 al. 1, 296 al. 3 - PROCEDURE DE DIVORCE – APPEL DE L’EPOUSE CONCERNANT LES CONTRIBUTIONS D’ENTRETIEN POUR ELLE ET POUR L'ENFANT – NON CONFIRMATION DE L’APPEL PAR L’ENFANT, DEVENU MAJEUR – CONSEQUENCES

Lorsque l’enfant devient majeur au cours du procès en divorce, le procès – dans la mesure où il porte sur les contributions d’entretien réclamées pour la période postérieure à sa majorité – ne peut pas être poursuivi contre ou sans sa volonté (ATF 129 III 55 c. 3.1.5). Si l’enfant déclare se satisfaire des contributions d’entretien fixées pour lui par le jugement de divorce, il faut en conclure qu’en ce qui concerne les contributions d’entretien auxquelles il peut prétendre dès sa majorité, il n’entend pas faire appel et que ce jugement est entré en force sur cette question. Le tribunal d’appel ne peut donc s’en saisir. L’appel déjà introduit par le parent devient sans objet s’agissant des contributions d’entretien pour la période postérieure à la majorité de l’enfant.

2020-N28 Appel partiel et maxime d’office:  le juge peut-il intervenir sur des points non attaqués ? 
Note F. Bastons Bulletti


1 Un jugement de divorce est prononcé alors que l’enfant du couple est proche de la majorité (atteinte en avril 2020). La décision fixe notamment des contributions pour l’enfant, y compris au-delà de sa majorité. L’épouse (parent gardien) introduit appel, alors que l’enfant est encore mineure; elle conclut, entre autres, à l’octroi de contributions plus élevées pour l’enfant, avant et au-delà de la majorité, ainsi qu’à l’octroi d’une contribution d’entretien pour elle-même. Devenue majeure, l’enfant est ensuite invitée à se déterminer ; elle déclare se satisfaire des contributions fixées pour elle par le tribunal. Le TC rejette les conclusions de l’épouse concernant les contributions pour l’enfant mineure (celles-ci étant déjà réglées par décisions de mesures provisionnelles, sur lesquelles le jugement de divorce ne peut revenir ; cf. c. 1.3.1 de l’arrêt, non reproduit ici). Concernant l’entretien de l’enfant après sa majorité, il constate que l’enfant n’entend pas faire appel ; il en déduit que le jugement de première instance est entré en force sur ce point et que le juge d’appel ne peut s’en saisir, malgré l’appel de la mère, dont les conclusions à cet égard sont devenues sans objet. Il admet enfin partiellement les conclusions de l’appelante en lui allouant une contribution d’entretien pour elle-même dès l’entrée en force de la décision.

2 Dans les procès dans lesquels l’enfant mineur est partie, celui-ci n’a pas la capacité d’ester en justice, faute d’exercice des droits civils (art. 67 al. 1 CPC). Il est donc représenté par son représentant légal, soit en principe par le parent titulaire de l’autorité parentale (art. 67 al. 2 CPC), qui agit alors au nom et pour le compte de l‘enfant mineur. Cependant, lorsqu’il s’agit de faire valoir les droits patrimoniaux de l’enfant – parmi lesquels ses droits à l’entretien -, le parent est autorisé à agir, non pas simplement au nom de l’enfant, mais même en son nom propre, pour le compte de l’enfant. Il s’agit là d’un cas de Prozessstandschaft,  dans lequel une personne se voit exceptionnellement reconnaître la qualité pour faire valoir un droit matériel en justice (qualité pour agir, faculté de procéder ; Prozessführungsbefugnis, Prozessführungsrecht, cf. notes sous art. 59 al. 2, E.), alors même qu’elle ne prétend pas être le titulaire de ce droit. La jurisprudence le déduit du droit d’administrer les biens de l’enfant, que l’art. 318 al. 1 CC confère au détenteur de l’autorité parentale (cf. notes sous art. 63 al. 2, B., en part. ATF 142 III 78 c. 3.2 et note in newsletter du 17.2.2016). Cette construction de la Prozesstandschaft est particulièrement importante dans le procès en divorce des parents, dans lequel l’enfant n’est pas et ne peut pas être partie, alors même que ce procès porte (aussi) sur ses droits, notamment ses droits à l’entretien – y compris après sa majorité (art. 133 al. 3 et 277 al. 2 CC). Le parent qui a l’autorité parentale est ainsi autorisé à faire valoir ces droits, en son nom propre, pour le compte de l’enfant (sur les év. conflits d’intérêts et leur résolution, cf. notes sous art. 299, A., en part. ATF 145 III 393 c. 2.7, 2.7.2, note in newsletter 2019-N25).

3 Ce pouvoir particulier de Prozessstandschaft n’est cependant donné qu’au détenteur de l’autorité parentale, càd. si et aussi longtemps que l’enfant est mineur (ATF 142 III 78 précité, ibid.). S’il est majeur, il peut et doit faire lui-même valoir son droit à l’entretien, dans une procédure indépendante, distincte de la procédure de divorce (art. 279 cum art. 277 al. 2 CC). Un tempérament est toutefois apporté lorsque l’enfant devient majeur alors que la procédure de divorce de ses parents est en cours. Il est admis que le parent qui agissait jusqu’alors pour lui peut conserver son pouvoir de Prozessstandschafter, à la condition que l’enfant majeur y consente (même tacitement) ; il peut alors continuer à faire valoir dans le procès en divorce les prétentions de l’enfant devenu majeur, toujours en son propre nom  (ATF 129 III 55 c. 3.1.3-3.1.5 ; ATF 142 III 78 précité c. 3.2). Si – comme en l’espèce – l’enfant ne consent pas, le parent n’a en revanche plus aucun pouvoir de faire valoir le droit dont l’enfant est titulaire : il ne peut plus le faire en son propre nom, à titre de Prozessstandschafter, faute de consentement ; il ne peut pas non plus le réclamer au nom de l’enfant, à titre de représentant légal (art. 67 al. 2 CPC), dès lors que l’enfant a désormais la capacité d’ester en justice, ou à titre de représentant choisi (art. 68 al. 1 CPC), dès lors que l’enfant a précisément refusé sa démarche. Il ne peut enfin pas non plus modifier sa demande pour prétendre à cet entretien en son propre nom et pour son propre compte, faute d’être titulaire du droit en cause, qui appartient exclusivement à l’enfant (cf. ATF 142 III 78 précité c. 3.3) – quand bien même il loge l’enfant majeur et, de fait, subviendra probablement aux besoins de celui-ci, si la contribution et les revenus propres de l’enfant n’y suffisent finalement pas. Ainsi, en l’espèce, faute de consentement de l’enfant majeur, l’appel ne porte plus sur l’entretien de celui-ci après sa majorité. Dès lors toutefois que les conclusions ont été régulièrement formulées au moment de l’introduction de l’appel, déposé avant la majorité de l’enfant, et que le pouvoir du parent n’a pris fin qu’ensuite, cet appel n’était pas irrecevable. Le TC a admis qu’il est devenu sans objet sur ce point (art. 242 CPC); la situation nous semble plus proche d’un retrait de l’appel, ce qui ne fait cependant pas de différence, dès lors que l’art. 242 CPC s’applique aussi, par analogie (ATF 145 III 153 c. 3.3.2, note sous art. 242, A.2.).

4 Dès lors qu’un appel a néanmoins été introduit, et qu’il subsiste en tout cas en ce qui concerne l’entretien du conjoint/parent gardien, on peut se demander si le juge d’appel pourrait intervenir d’office et examiner les conclusions de la mère, même devenues sans objet, s’il lui apparaît que la contribution fixée pour l’enfant n’est pas justifiée – soit qu’elle est trop faible, soit au contraire, qu’elle est trop élevée. La question ne se pose certes que si l’on admet que la maxime d’office est applicable aussi dans le procès en entretien de l’enfant majeur; si ce procès est soumis à la maxime de disposition, le juge est lié par les conclusions régulièrement prises devant lui (art. 58 al. 1 CPC) et ne peut pas statuer sur une question qui ne lui est pas (ou plus) soumise. La question est débattue (cf. notes sous art. 296 al. 3, E.): dans un arrêt non publié, le TF a estimé que cette maxime ne s’appliquait pas à un procès indépendant, mais qu’elle pouvait être appliquée sans arbitraire dans la procédure de divorce, lorsque l’enfant devient majeur en cours de procès et consent aux actes de son parent (TF 5A_524/2017 du 9.10.2017 c. 3.1, 3.2.2 et 3.2.3, note sous art. 296 al. 3, A. et note M. Heinzmann in newsletter du 18.01.2018). Le TC/FR admet, à notre avis à raison, une application plus large, qui s’étend aussi aux procédures indépendantes auxquelles l’enfant, devenu majeur, ou déjà majeur au début du procès, est partie (c. 1.2 du présent arrêt  et réf. : TC/FR du 5.3.2020 [101 2019 196*] c. 1.2, note sous art. 296 al. 3, A.). 

5 Dans la présente affaire, la Cour d’appel a considéré qu’elle ne pouvait pas intervenir, au motif que la contribution pour l’enfant fixée en première instance était entrée en force, dès lors que l’appel sur ce point était devenu sans objet. Ce raisonnement se rapproche de la celui adopté, dans une autre affaire matrimoniale, par le TC/VD (CACI 19.12.2019/659 c. 2.3,  JdT 2020 III 130, note sous art. 317 al. 2, F. et sous art. 296 al. 3, B.), s’agissant de l’entretien d’enfants mineurs (indiscutablement soumis à la maxime d’office, cf. art. 296 al. 3 CPC) : dans son appel contre une décision de mesures protectrices, le débiteur d’entretien concluait au transfert de la garde des enfants, sans mentionner leur entretien ; après l’expiration du délai d’appel, il a ajouté une conclusion, demandant une réduction de la contribution fixée pour eux, pour le cas où sa conclusion relative à la garde serait rejetée. Le juge a déclaré irrecevable cette conclusion nouvelle. Il a considéré que la question de la contribution était entrée en force, faute d’avoir été attaquée dans le délai d’appel (art. 315 al. 1 CPC), de sorte qu’elle ne pouvait plus être revue, même d’office; la contribution ne pourrait être revue qu’en tant que conséquence (accessoire) du changement de garde déjà objet de l’appel, si la conclusion relative à la garde était admise ; elle ne pouvait en revanche pas être examinée séparément.

6 La solution donnée dans ces deux arrêts, soit l’entrée en force des points non contestés en appel et l’impossibilité de les revoir, malgré la maxime d’office, est notre avis en principe justifiée, mais doit être nuancée. Il est vrai que la maxime d’office ne permet pas au juge (d’appel) de se saisir de son chef d’une question, hors de toute procédure. Cependant, dans les deux causes envisagées, la Cour était régulièrement saisie d’un appel, quand bien même celui-ci ne portait pas, ou plus, sur question de l’entretien de l’enfant. Il est aussi exact que la maxime d’office n’empêche pas une partie de se désister de son action (mais bien de mettre fin au litige par transaction ou acquiescement ; cf. PC CPC-Chabloz art. 58 N 15-18 ; BSK ZPO-Gehri art. 58 N 27 ; PC CPC-Dietschy Martenet art. 296 N 17), ni de décider si et dans quelle mesure elle entend recourir d’une décision (BSK ZPO-Mazan/Steck art. 58 N 29). Or l’appel ne suspend l’entrée en force de la décision attaquée que « dans la mesure des conclusions prises en appel » (art. 315 al. 1 CPC) ; il en résulte normalement, a contrario, que les points non contestés entrent formellement en force; cette entrée en force partielle de la décision attaquée implique que les points non contestés ne peuvent plus être examinés dans la procédure en cours. On peut dès lors affirmer, de manière générale, que même lorsque la maxime d’office s’applique, le juge ne peut revoir que les questions qui sont l’objet du recours, càd. qui ne sont pas entrées en force -– mais en n’étant pas lié, sur ces questions, par les conclusions des parties (cf. PC CPC-Dietschy Martenet art. 296 N 18). La règle n’est cependant pas absolue : d’une part, il en va autrement – et ce même si la cause est soumise à la maxime de disposition – lorsque la décision partiellement attaquée a pour objet des prétentions indissociablement liées entre elles (cf. not. BSK ZPO-Spühler art. 315 N 2 ; p.ex. lorsque l’appel ne vise que le principe du divorce, et non les effets accessoires réglés par la décision, ces derniers n’entrent néanmoins pas en force, cf. CR-CPC-Tappy art. 289 N 12). D’autre part, lorsque la maxime d’office est applicable, la portée de l’entrée en force partielle est limitée, puisque le juge doit statuer sans être lié par les conclusions du recourant et qu’il peut en outre examiner des points, alors même qu’ils ne sont pas attaqués, qui dépendent de la décision sur une autre question, objet de l’appel, ou qui peuvent en être influencés (OGer/ZH du 22.7.2014 (PQ140028) c. 2.2, note sous art. 315 al. 1). Ainsi, dans une affaire où une question relative au sort de l’enfant (l’autorité parentale conjointe) n’avait pas été remise en cause dans le délai de recours, le TF a jugé que la maxime d’office (art. 296 al. 3 CPC) permettait néanmoins à l’Obergericht de réexaminer d’office cette question. Il a écarté le grief du recourant selon lequel ce tribunal avait statué à tort sur un point entré en force, en relevant que l’Obergericht était de toute manière saisi d’un recours, de sorte qu’il n’avait pas statué hors d’une procédure; il était en outre nécessaire de traiter cette question, car elle était étroitement liée aux points de la décision – attribution du droit de garde et possibilité de départ à l’étranger – qui avaient été régulièrement attaqués (TF 5A_202/2015 du 26.11.2015 c. 2.3 n.p. in ATF 142 III 1, note sous art. 296 al. 3, B.). Enfin, en matière de droit matrimonial, la loi prévoit expressément une exception à l’entrée en force partielle de la décision non attaquée sur l’entretien de l’enfant,  l’art. 282 al. 2 CPC précisant que “ Lorsque le recours porte sur la contribution d’entretien allouée au conjoint, la juridiction de recours peut également réexaminer les contributions d’entretien allouées aux enfants, même si elles ne font pas l’objet du recours.” A cet égard, le TF a souligné que cette disposition est une émanation de la maxime d’office (art. 296 al. 3 CPC) et qu’elle « introduit une exception au principe de la force de chose jugée », le juge n’étant pas lié par les conclusions des parties du fait de l’application de l’art. 296 al. 3 CPC (TF 5A_524/2017 du 9.10.2017 c. 3.1, note sous art. 296 al. 3, A. ; ég. PC CPC-Fountoulakis/D’Andres art. 282 N 14). 

7 Ainsi, lorsque et aussi longtemps que le juge est saisi, la maxime d’office peut restreindre l’entrée en force partielle de la décision ; lorsque la question qui n’a pas fait l’objet de l’appel est liée à celle qui demeure contestée, l’absence de contestation formelle ne fait pas nécessairement obstacle à l’examen d’office de cette question, à une reformatio in pejus, ni par conséquent à l’examen de conclusions irrégulières des parties sur ce point.  Cela ne signifie certes pas que le juge doit procéder systématiquement à un examen, encore moins qu’il doit faire droit aux conclusions tardives, ou devenues sans objet, mais que dans le champ d’application de la maxime d’office, le seul fait qu’un point n’a pas été (régulièrement) contesté dans un recours n’empêche pas toujours le juge saisi d’un recours de revoir ce point d’office.

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2020-N28, n°…

 

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