Sommaire
INTRODUCTION
I. DÉCISIONS SUJETTES À UNE VOIE DE DROIT CANTONALE
A. Caractère exécutoire des décisions communiquées sans motivation
A.a. Le problème
A.b. La réponse
A.b.a. En droit actuel
A.b.b. Selon le CPC révisé (art. 336 al. 3 CPCrév.)
B. L’octroi de l’effet suspensif ou du caractère exécutoire anticipé
B.a. Le droit actuel
B.b. Le CPC révisé (art. 315 al. 4 et 5, art. 325 al. 2 CPCrév.)
II. DÉCISIONS SUJETTES À RECOURS AU TF
A. La réglementation actuelle
B. Le CPC et l’art. 112 al. 2 LTF révisés
INTRODUCTION
1 La révision du CPC, adoptée le 17 mars 2023 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025, vise à améliorer l’application et la praticabilité de la procédure civile. En ce qui concerne les voies de droit, il n’a pas été question de modifier fondamentalement un système qui dans l’ensemble, s’avérait satisfaisant. Il a en revanche été envisagé d’emblée de clarifier des questions récurrentes liées au caractère exécutoire des décisions, particulièrement des décisions communiquées sans motivation, pendant le laps de temps compris entre leur communication aux parties et le moment où elles ne peuvent plus être contestées par appel ou recours, ou, en cas de contestation, la fin de la procédure devant l’instance supérieure. Il s’est agi, d’une part, de préciser à quel moment ces décisions sont exécutoires et, d’autre part, de réglementer la suspension, ou l’anticipation, du caractère exécutoire pendant le laps de temps précité. Il en résulte plusieurs nouveautés, qui nous allons parcourir en nous attachant au plus importantes en pratique. Elles concernent tant les décisions de première (I.) que de deuxième instance (II.) cantonale.
I. DÉCISIONS SUJETTES À UNE VOIE DE DROIT CANTONALE
A. Caractère exécutoire des décisions communiquées sans motivation
A.a. Le problème
2 Dans le système actuel des voies de droit, les décisions sujettes au recours stricto sensu (art. 325 al. 2 CPC), ainsi que certaines décisions susceptibles d’appel (art. 315 al. 4 CPC ; comp. art. 315 al. 2 CPCrév., qui étend le catalogue des décisions visées à l’avis aux débiteurs et à la fourniture de sûretés selon les art. 132 et 291 s. CC), sont immédiatement exécutoires, nonobstant recours ou appel. Le risque d’une exécution forcée avant droit connu sur un recours ou appel ne peut être écarté que par une décision du juge saisi de cette voie de droit, suspendant le caractère exécutoire de la décision (art. 315 al. 5 et 325 al. 2 CPC ; cf. infra N 10). A l’inverse, les décisions objet d’un appel ordinaire, sans effet suspensif (art. 315 al. 1 CPC), ne peuvent pas être exécutées avant la décision sur appel, à moins que le juge d’appel n’ordonne le caractère exécutoire anticipé (art. 315 al. 2 et 3 CPC ; infra N 10).
3 Parallèlement, l’art. 239 al. 1 CPC permet de communiquer la décision de première instance par la remise ou la notification du simple dispositif non motivé (auquel est assimilé un dispositif accompagné d’une brève motivation, cf. TF 5A_1049/2020 du 28.5.2021 c. 3.3.4, note sous art. 239 al. 2 et in newsletter 2021-N15) ; dans le CPCrév., cette faculté est même érigée en règle générale (cf. art. 239 al. 1 CPCrév.). Celui qui entend contester la décision dispose d’abord d’un délai de 10 jours pour en demander la motivation écrite (art. 239 al. 2 CPC). Ce n’est qu’après notification de cette motivation qu’il peut introduire appel ou recours, dans le délai de 30 ou 10 jours fixé par la loi (art. 311, 314 et 321 CPC, selon lesquels ce délai ne court qu’à la notification de la décision motivée). Un appel ou recours dirigé contre le dispositif (voire contre le dispositif sommairement motivé, cf. TF 5A_1049/2020 précité) est irrecevable (cf. notes sous art. 239 al. 2, en part. TF 5A_678/2013 du 7.11.2013 c. 2.2 ; certains tribunaux admettent cep. une conversion du recours en requête de motivation écrite, qui doit être transmise d’office au premier juge, cf. KGer/SG du 3.10.2013 [BE.2013.43] c. II.2 et II.3, note ibid.).
4 Il se pose la question de savoir si une décision communiquée sans motivation écrite, et sujette à appel ou recours dépourvu d’effet suspensif automatique, est exécutoire dès la communication du dispositif, ou seulement dès la notification de la décision motivée – ou à l’expiration du délai pour requérir la motivation écrite, si celle-ci n’est pas requise. Dans la première hypothèse, la partie qui a succombé s’expose à une exécution forcée dès la communication du dispositif, alors même que, faute de décision motivée, elle ne peut pas encore recourir – ni, dès lors, demander l’octroi de l’effet suspensif à son recours ou appel (supra N 2). Dans la seconde hypothèse, la partie qui a obtenu gain de cause ne peut pas faire exécuter la décision avant la notification de la motivation écrite, si celle-ci est requise – soit, cas échéant, avant plusieurs mois après la communication du dispositif.
5 Cette question ne se pose en revanche pas pour les décisions non motivées sujettes à appel avec effet suspensif (art. 315 al. 1 CPC). Dans ces cas, la décision, d’emblée motivée ou non, n’est de toute manière pas exécutoire avant l’expiration du délai pour requérir la motivation de la décision, ou, si la rédaction est requise, avant l’expiration du délai d’appel, ou en cas d’introduction d’un appel, avant la décision sur cet appel (cf. notes sous art. 315 al. 1, en part. ATF 139 III 486 c. 3 et TF 5A_866/2012 du 1.2.2013 c. 4.1). En revanche, l’impossibilité d’obtenir une exécution pendant une période qui se trouve prolongée du temps nécessaire à la rédaction de la motivation peut soulever des difficultés, dont la révision a tenu compte (infra N 14).
A.b. La réponse
A.b.a. En droit actuel
6 Le TF a très récemment apporté deux réponses : selon l’une, il n’est pas contraire au droit fédéral de retenir que la décision sujette à une voie de droit sans effet suspensif automatique n’est exécutoire qu’à la notification de sa motivation (TF 5A_190/2023* du 3.8.2023 c. 6.4, note sous art. 239 al. 2, 3. et in newsletter 2023-N13). Selon l’autre, il n’est pas arbitraire d’admettre au contraire que la décision est immédiatement exécutoire même lorsque seul son dispositif a été communiqué aux parties (TF 5A_558/2023 du 28.8.2023 c. 3.2, note ibid. et in newsletter 2023-N14 ; ég. TF 5A_755/2022 du 20.2.2023 c. 4.2.2, notes sous art. 325 al. 1 et sous art. 336 al. 1). Il avait auparavant énoncé qu’une décision sur appel – càd. de deuxième instance – n’est pas exécutoire avant la notification de la décision motivée, indépendamment du fait que le recours disponible au TF n’a pas d’effet suspensif (cf. ATF 142 III 695 c. 4.2.1, note sous art. 336 al. 1 et in newsletter du 17.11.2016). Cette solution était cependant fondée sur l’art. 112 al. 2 LTF, dont l’équivalent ne se trouve pas dans le CPC pour les décisions de première instance (au demeurant, il nous semble discutable que l’art. 112 al. 2 LTF dans sa teneur actuelle puisse fonder la solution retenue par le TF, cf. newsletter précitée ; comp. art. 112 al. 2 LTF révisé dans le cadre de la révision du CPC, FF 2023 786 ss ; cf. ég. infra N 18 et 19).
7 La doctrine majoritaire est d’avis – que nous partageons – que la décision de première instance sujette à recours ou appel sans effet suspensif automatique est exécutoire dès la communication de son dispositif (cf. PC CPC-Heinzmann/Braidi art. 239 N 11 et réf.). La plupart des tribunaux cantonaux semble suivre cet avis (cf. notes sous art. 315 al. 5, A., not. TC/FR du 2.11.2018 [101 2018 312] c. 1.2 ; KGer/SG du 17.6.2014 [ZV.2014.64] c. 2), à l’exception notable de l’Obergericht de Zurich et du TC vaudois, qui en application analogique de l’art. 112 al. 2 LTF, estiment que cette décision ne devient exécutoire qu’une fois la motivation notifiée, ou si celle-ci n’est pas requise, à l’expiration du délai de l’art. 239 al. 2 CPC (cf. réf. citées in TF 5A_190/2023* du 3.8.2023 c. 6.4.1 : TC/VD CPF du 6.10.2014/45; TC/VD CACI du 10.2.2015/720, JdT 2015 III 135 ; Juge délégué CACI 11.7.2019, JdT 2020 121 et réf. ; OGer/ZH RT120039 du 11.6.2012 c. 3.9; OGer/ZH PS200240 du 4.1.2021 c. III.2.49).
A.b.b. Selon le CPC révisé (art. 336 al. 3 CPCrév.)
8 Le législateur a entendu mettre fin à cette incertitude. Il a ajouté un al. 3 à l’art. 336 CPC, dont il ressort, en combinaison avec l’al. 1 de cette disposition, que la décision sujette à une voie de droit sans effet suspensif automatique est exécutoire dès la communication de son dispositif non motivé – et non p.ex. à la notification de la motivation écrite, ou à la fin du délai de recours. En effet, une décision non motivée est exécutoire aux conditions posées par l’art. 336 al. 1 CPCrév. (art. 336 al. 3 CPCrév.), càd. si elle est entrée en force et si le tribunal n’a pas suspendu le caractère exécutoire (al. 1 lit. a). Or les décisions sujettes à recours stricto sensu, voie de droit extraordinaire, entrent en force dès leur communication (cf. notes sous art. 325 al. 1, not. TF 5A_755/2022 du 20.2.2023 c. 4.2.2 ; ég. ATF 146 III 284 c. 2.3.4-2.3.5, note sous art. 336 al. 1 et in newsletter 2020-N18). Quant aux décisions sujettes à appel sans effet suspensif (art. 315 al. 2 CPCrév.), même si le TF a admis qu’elles n’entrent pas en force dès leur communication (ATF 139 III 486 c. 3 concernant des mesures provisionnelles, note sous art. 336 al. 1 et sous art. 315 al. 4), il faut à notre avis admettre qu’elles sont également visées: l’art. 336 al. 1 lit. a CPCrév. concerne certes les décisions « entrée[s] en force », mais se réfère expressément à l’art. 315 al. 4 CPCrév., de sorte qu’il vise toutes les décisions mentionnées par cette dernière disposition, soit notamment les décisions de mesures provisionnelles (cf. art. 315 al. 4 lit. b CPCrév., qui renvoie à l’art. 315 al. 2 CPCrév.).
9 Dès lors, la partie qui a obtenu la condamnation de son adversaire peut obtenir l’exécution forcée dès communication du dispositif. Pour le plaideur qui succombe, le risque est ainsi de devoir s’exécuter avant même d’avoir pu faire contrôler la décision, càd. d’être placé face à un fait accompli ou à une situation qui, même en cas d’admission de son recours, pourra n’être que difficilement réversible. Le législateur a cependant prévu un correctif (N 10 ss).
B. L’octroi de l’effet suspensif ou du caractère exécutoire anticipé
B.a. Le droit actuel
10 Lorsque la voie de droit n’a pas d’effet suspensif automatique, l’effet suspensif peut être requis (cf. art. 325 al. 2 CPC ; art. 315 al. 5 CPC, qui ne vise cep. que les décisions de mesures provisionnelles et non celles relatives au droit de réponse), auprès de la juridiction de deuxième instance (cf. art. 325 al. 2 CPC ; l’art. 315 al. 5 CPC ne précise pas l’autorité compétente pour statuer sur l’effet suspensif de l’appel concernant des mesures provisionnelles, mais la compétence du juge d’appel résulte de la systématique et de l’effet dévolutif de cette voie de droit, d’autant que le premier juge est dessaisi, cf. D. Staehelin/E. Bachofner, Vollstreckung im Niemandsland, Jusletter du 16.4.2012 N 10 s.), du moins dès le dépôt de l’appel ou du recours (cf. infra N 11 – 12). Inversement, lorsque la voie de droit a effet suspensif de par la loi (ce qui est uniquement le cas de l’appel, et uniquement sur les points attaqués, cf. art. 315 al. 1 CPC), celui qui a intérêt à une exécution forcée immédiate, nonobstant l’appel, peut requérir de la juridiction d’appel qu’elle prononce le caractère exécutoire (315 al. 2 CPC ; un tel prononcé est cep. exclu si la décision en cause est une décision formatrice, cf. 315 al. 3 cum art. 87 CPC).
11 Les art. 315 et 325 CPC ne prévoient en revanche pas la possibilité d’octroyer l’effet suspensif – ou le caractère exécutoire immédiat – avant l’introduction de l’appel ou du recours. Cette situation pose problème, en particulier, pour les décisions sujettes à voie de droit sans effet suspensif et dont seul le dispositif a été communiqué : si l’on admet qu’elles sont exécutoires dès cette communication (supra N 7), elles peuvent être exécutées alors que celui qu’elle concerne ne peut pas encore en demander le contrôle ni, dès lors, l’effet suspensif. Inversement, lorsque ces décisions sont sujettes à appel « ordinaire », càd. sans effet suspensif (art. 315 al. 1 CPC), et que la motivation est requise, le créancier de la prestation ordonnée par la décision de première instance ne peut espérer obtenir d’exécution qu’à la fin du délai d’appel, ou, si un appel est déposé, qu’après avoir obtenu du juge d’appel une déclaration du caractère exécutoire anticipé (art. 315 al. 2 CPC et supra N 10); ainsi, si la motivation est requise, le laps de temps avant de pouvoir obtenir l’exécution est sensiblement prolongé, ce qui peut mettre en péril les intérêts de ce créancier.
12 Pour le cas des décisions sujettes à recours ou appel sans effet suspensif, des auteurs ont proposé une solution (cf. D. Staehelin/E. Bachofner, Vollstreckung im Niemandsland, Jusletter du 16.4.2012) que plusieurs tribunaux cantonaux ont adoptée : en application analogique de l’art. 263 CPC, qui permet le prononcé de mesures (super)provisionnelles avant l’introduction de la procédure principale, la partie ainsi menacée d’une exécution forcée immédiate peut s’adresser au tribunal supérieur cantonal pour requérir des mesures provisionnelles suspendant le caractère exécutoire de la décision (cf. notes sous art. 315 al. 5, A.). Ces mesures provisionnelles, si elles sont accordées, deviennent caduques à l’expiration du délai pour demander la motivation de la décision (art. 239 al. 2 CPC) ou si la motivation est requise, à la notification de cette motivation (cf. TC/FR du 2.11.2018 [101 2018 312] c. 1.5, RFJ 2019, 77 ss, note ibid.), ou à l’expiration du délai d’appel ou de recours (KGer/SG du 17.6.2014 [ZV.2014.64] c. 3 et 4 ; KGer/BL du 19.6.2012 [BL 410 12 182/LIA], notes ibid.). Si un appel ou recours est déposé, ces mesures semblent demeurer en vigueur jusqu’à droit connu, si elles ne sont pas modifiées ou révoquées en cours de procédure de deuxième instance. Le TF ne s’est pas prononcé sur cette solution. A notre connaissance, elle n’a pas non plus trouvé application dans le cas inverse du créancier souhaitant obtenir par avance le prononcé du caractère exécutoire anticipé de la décision non motivée sujette à appel ordinaire (cf. cep. TC VD CACI, juge délégué, du 11.11.2019 c. 4 et 5, note ibid., admettant la possibilité d’ordonner des mesures provisionnelles de sûreté avant l’introduction d’un appel concernant le refus de mesures provisionnelles).
B.b. Le CPC révisé (art. 315 al. 4 et 5, art. 325 al. 2 CPCrév.)
13 C’est la solution préconisée par la doctrine précitée et adoptée par divers tribunaux cantonaux (supra N 12) que le législateur a retenue. Après avoir envisagé de permettre au juge de première instance – càd celui qui rend la décision contestée – de prononcer l’effet suspensif, sur requête voire d’office (cf. P-CPC [2020], art. 236 al. 4 et 239 al. 2bis, FF 2020, 2699 ; solution à juste titre critiquée en doctrine, ce juge devant être considéré comme prévenu, cf. A. Markus/M. Huber Lehmann, Erteilung und Entzug der Vollstreckbarkeit, PJA 12/2020, 1555 ss.), le législateur a finalement choisi de laisser au tribunal supérieur la compétence de statuer sur l’effet suspensif, sur requête – cette exigence expresse, nouvelle, d’une requête, ne nous semble cependant pas déroger à la possibilité d’ordonner au besoin cette mesure d’office, si le procès est régi par la maxime d’office ; cette possibilité suppose cependant qu’une voie de droit soit déjà introduite, le juge de deuxième instance ne pouvant pas se saisir d’office. La véritable nouveauté consiste en ce que la requête peut être déposée « avant le dépôt de l’appel [ou du recours] », càd. dès la communication de la décision en cause selon l’art. 239 al. 1 CPC, avant même la possibilité d’introduire un appel ou un recours (cf. art. 315 al. 5 et 325 al. 2 CPCrév.). En outre, l’effet suspensif peut dorénavant être requis pour toutes les décisions qui selon l’art. 315 al 2 CPCrév., sont sujettes à appel sans effet suspensif automatique (v. supra N 2), et non plus seulement pour les décisions de mesures provisionnelles (cf. art. 315 al. 4 CPCrév.), tout comme pour les décisions sujettes à recours (art. 325 al. 2 CPCrév., inchangé sur ce point).
14 A noter que cette même disposition (art. 315 al. 5 cum al. 4 lit. a CPCrév.) permet à l’inverse aussi au juge d’appel de prononcer, sur requête, le caractère exécutoire anticipé d’une décision sujette à appel ordinaire avec effet suspensif (art. 315 al. 1 CPC), avant le dépôt d’un tel appel, càd. aussi avant la notification de la motivation du jugement de première instance. Dans ce cas, le juge doit particulièrement examiner la nécessité d’ordonner des mesures conservatoires ou d’exiger du requérant le versement de sûretés, ainsi que l’al. 4 précité le permet expressément.
15 Il est possible qu’en pratique, il ne soit pas aisé au tribunal supérieur saisi avant l’introduction d’une voie de droit de statuer sur la requête, alors qu’il ne connait encore rien de l’affaire et moins encore, des motifs de la décision du premier juge. L’octroi de l’effet suspensif – ou du caractère exécutoire anticipé – dépend du risque d’un préjudice difficilement réparable (expressément mentionné aux art. 315 al. 4 et 325 al. 2 CPCrév.), dont la vraisemblance dépend notamment des chances de succès d’un appel ou d’un recours, qu’il est évidemment difficile d’évaluer avant le dépôt de celui-ci. Ces difficultés ne doivent cependant pas être surestimées : la décision sur l’effet suspensif ou sur le caractère exécutoire anticipé constitue une mesure provisionnelle (cf. notes sous art. 315 al. 2 et 5, p.ex. TF 4A_440/2011 du 21.10.2011 c. 1), à rendre en procédure sommaire (art. 248 lit. d CPC) et à laquelle les conditions générales de l’art. 261 CPC sont en principe applicables. Le requérant qui la sollicite doit ainsi rendre vraisemblable, outre le risque d’un préjudice difficilement réparable, l’urgence et la proportionnalité de la mesure requise et le juge doit opérer une pesée des intérêts respectifs des parties (cf. notes sous art. 315 al. 5, B.). L’appréciation des chances de succès n’est ainsi pas seule décisive. Le requérant peut en outre, à cet égard, produire ses écritures de première instance et exposer que sa position n’est pas dépourvue de chances de succès, voire, cas échéant, indiquer les griefs qu’il pense pouvoir formuler contre la décision. Dans le doute, le caractère exécutoire anticipé, voire l’effet suspensif, devrait en général être refusé, l’art. 315 al. 4 lit. b CPCrév. soulignant en outre le caractère exceptionnel de cette dernière mesure. Il faut encore relever que le tribunal pourra, au besoin, modifier ou révoquer en tout temps son ordonnance (art. 268 CPC, applicable aussi aux décisions relatives au caractère exécutoire). Celle-ci deviendra en outre caduque si la motivation de la décision de première instance n’est pas requise, ou si cette décision n’est en définitive pas attaquée (art. 315 al. 5 et 325 al. 2 CPCrév.). En revanche, il n’est pas imposé au requérant de renouveler sa requête après introduction de l’appel ou recours : la décision d’octroi de l’effet suspensif – ou du caractère exécutoire anticipé – prononcée avant recours ou appel demeure par conséquent valide, tant qu’elle n’est pas modifiée ou révoquée.
II DÉCISIONS SUJETTES À RECOURS AU TF
16 Les décisions de deuxième instance cantonales, ainsi que les décisions d’une instance cantonale unique (art. 5 – 8 CPC), sont sujettes au recours au TF – en général, recours en matière civile ou recours constitutionnel subsidiaire. Ces recours sont en principe dépourvus d’effet suspensif automatique (cf. art. 103 et 117 LTF), de sorte qu’il s’agit de voies de droit extraordinaires (ATF 146 III 284 c. 2.3, note sous art. 336 al. 1 et in newsletter 2020-N18). En conséquence la décision cantonale sur appel ou recours entre en force et est exécutoire nonobstant de tels recours, sous réserve de l’octroi, par décision du TF, de l’effet suspensif ou d’autres mesures provisionnelles (art. 103 al. 3 et art. 104 LTF). On pourrait en déduire que la décision cantonale est exécutoire dès sa communication. Cependant, là encore, la situation n’est pas si claire et la révision du CPC ne résout pas toutes les questions.
A. La réglementation actuelle
17 Au contraire de l’art. 239 CPC, les art. 318 al. 2 et 327 al. 5 CPC imposent aux juridictions cantonales d’appel ou de recours de motiver systématiquement leur décision ; la même règle s’applique aux instances cantonales uniques (art. 112 al. 1 lit. b LTF cum art. 239 al. 3 CPC). Le TF a cependant admis que cette motivation ne doit pas nécessairement intervenir d’emblée : le tribunal d’appel peut, dans un premier temps, communiquer aux parties le seul dispositif de sa décision, la motivation étant notifiée ensuite – mais obligatoirement, et non seulement sur requête d’une partie (ATF 142 III 695 c. 4.1 – 4.2, note sous art. 318 al. 2; comp. supra N 3). Il a précisé que dans ce cas, en application analogique de l’art. 112 al. 2 LTF, la décision cantonale n’est pas exécutoire avant la notification de la motivation (sur nos réserves quant à l’application de cette disposition, cf. supra N 6 et newsletter du 17.11.2016). Il en résulte une solution différente de la solution majoritairement admise pour les décisions de première instance non sujettes à une voie de droit avec effet suspensif: la décision, exécutoire en principe dès la communication du dispositif de première instance, voire au plus tard dès la notification de sa motivation (supra N 6-7), ne l’est plus entre la communication du dispositif de deuxième instance et notification de sa motivation – et ce même si pendant toute la procédure de deuxième instance, l’effet suspensif n’a pas été requis, ou n’a pas été accordé, de sorte que la décision est demeurée exécutoire.
B. Le CPC et l’art. 112 al. 2 LTF révisés
18 Les art. 318 al. 2 et 327 al. 5 CPCrév. prévoient l’application de l’art. 239 CPC par analogie aux décisions sur appel et sur recours – à noter que le P-CPC (2020) prévoyait une abrogation pure et simple de ces dispositions (FF 2020, 2701). Cette réglementation, qui sera immédiatement applicable aux procès en cours à l’entrée en vigueur de la révision, le 1er janvier 2025 (art. 407f CPCrév.), ne nous semble en revanche pas applicable aux décisions des instances cantonales uniques : l’art. 112 al. 2 LTF – que réserve toujours l’art. 239 al. 3 CPC, demeuré inchangé – a certes été révisé, en ce sens que le droit fédéral, et non plus seulement le droit cantonal, peut permettre de ne pas motiver les décisions sujettes à recours au TF. Cependant, dans le CPCrév. – càd dans le droit fédéral -, seuls les art. 318 al. 2 et 327 al. 5, qui ne s’appliquent qu’aux décisions sur appel ou recours, prévoient cette possibilité. Il nous semble dès lors que la règle de l’art. 112 al. 1 lit. b LTF reste applicable aux décisions des instances cantonales uniques, qui doivent ainsi toujours être motivées.
19 En conséquence, les tribunaux supérieurs ne sont désormais tenus de motiver leurs décisions sur appel ou recours que sur requête (sur les critiques que soulève cette modification cf. P. Honegger-Müntener / M. Rufibach / J. Schumann, Die Revision der ZPO, PJA 2023, 1157 ss, 1198 s. ; celles-ci nous semblent surtout justifiées dans le cas d’affaires complexes, ou de renvoi de la cause au premier juge, qui ne représentent cep. pas tous les cas soumis aux juridictions de recours, celles-ci conservant au demeurant un pouvoir d’appréciation). Il ne faut toutefois pas en déduire que ces décisions sont exécutoires dès la communication du dispositif : certes, la décision entre en force dès son prononcé, dès lors que le recours au TF n’est pas une voie de droit ordinaire (ATF 146 III 284 précité c. 2.3). L’art. 336 al. 3 CPC serait en outre en soi applicable, de sorte que la décision devrait aussi être exécutoire nonobstant recours (art. 336 al. 1 lit. a CPCrév. ; supra N 8). Cependant, l’art. 112 al. 2 LTF, qui demeure réservé (art. 239 al. 3 CPC), n’a guère été modifié dans le cadre de la révision du CPC : il vise certes désormais expressément les cas dans lesquels une loi fédérale dispense de motiver la décision, de sorte qu’il s’harmonise avec les art. 318 et 327 CPCrév. cum art. 239 al. 1 CPC, confirmant qu’une décision de deuxième instance peut être communiquée sans motivation écrite (cf. art. 112 al. 2 1er phr LTF ; supra N 18). En revanche, la troisième phrase de cet alinéa est demeurée inchangée : il en résulte que la décision non motivée par écrit n’est pas exécutoire avant la notification de la motivation écrite – ou avant l’écoulement du délai de 30 jours pour demander cette motivation (art. 112 al. 2, 2e phr. LTF).
20 Cette solution est en contradiction, d’une part, avec l’art. 239 al. 2 CPC, qui prévoit un délai de 10 jours pour requérir la motivation de la décision, ce qui nuit à la clarté de la nouvelle réglementation. D’autre part et surtout, elle contredit l’art. 336 al. 3 CPCrév. (supra N 8) et représente une incongruité dans un système qui tend à assurer que des décisions sujettes à un recours sans effet suspensif puissent être exécutées sans délai – d’autant que la décision (re)deviendra ensuite exécutoire, même si un recours au TF est déposé (art. 103 al. 1 LTF ; ATF 146 III 284 c. 2.3 précité). En outre, cette contradiction ne peut pas être dépassée, dès lors que la LTF ne contient pas de disposition analogue aux art. 315 al. 5 et 325 al. 2 CPCrév. : le TF ne peut ainsi pas être saisi d’une requête tendant à l’octroi du caractère exécutoire anticipé (que permettrait en soi l’art. 104 LTF) avant qu’un recours ne soit déposé devant lui (ATF 142 III 695 précité, c. 4.2.1 i.f. ; comp. supra N 14). Il en résulte que pendant toute la durée nécessaire à la rédaction de l’arrêt sur recours ou appel, l’exécution ne pourra pas, ou plus, être obtenue.
21 Cette situation est à notre avis regrettable (cf. ég. newsletter 2020-N18 précitée, n° 7-8), d’autant que le bien-fondé de la prétention à exécuter a été examiné deux fois et que le législateur, lorsqu’il prévoit qu’un recours n’a pas effet suspensif, manifeste sa volonté qu’une exécution puisse intervenir sans délai. Elle peut en outre créer des complications dans le cas où une procédure d’exécution est en cours au moment de la communication du dispositif de la décision sur appel ou recours. Elle devrait dès lors être prise en considération par la juridiction de recours au moment de décider si elle communique sa décision sous forme de simple dispositif. Pour pallier cette situation, dans une certaine mesure, l’art. 268 al. 2 CPC pourrait fournir une aide au créancier, s’il formule auprès du tribunal cantonal – évidemment avant qu’il ne soit dessaisi – une requête de mesures provisionnelles visant à assurer l’exécution de la future décision, en requérant que le maintien de ces mesures soit ordonné au-delà de l’entrée en force (immédiate dès le prononcé sur l’appel ou le recours, cf. art. 336 cum art. 103 al. 1 LTF ; ég. ATF 146 III 284 précité c. 2.3.4 – 2.3.5) de la décision de deuxième instance. Cependant, seule la pratique permettra de déterminer, cas échéant, quelles solutions sont admissibles.
Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2024-N2, n°…
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