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L’interdépendance des contributions d’entretien pour le conjoint et les enfants et ses conséquences en procédure de recours

TF 5A_112/2020 du 28.3.2022 c. 2.2 et 2.3

Art. 58 al. 1, art. 296 al. 3 - APPEL CONCERNANT LES CONTRIBUTIONS FIXÉES POUR L’ÉPOUSE ET POUR L’ENFANT – MAXIMES DE DISPOSITION ET D’OFFICE – CONSÉQUENCE DE L’INTERDEPENDANCE DES CONTRIBUTIONS SUR LA FIXATION DE LA CONTRIBUTION POUR L’ÉPOUSE

Dans la méthode en deux étapes avec répartition de l’excédent, qui selon la récente jurisprudence, est la seule admissible non seulement pour l’entretien des enfants (ATF 147 III 265 c. 6.6) mais aussi pour l’entretien du conjoint (ATF 147 III 301 c. 4.3), il existe une grande interdépendance entre l’entretien du conjoint et celui de l’enfant. Bien que chaque catégorie d’entretien repose sur des normes de droit matériel différentes (art. 125 CC pour l’entretien post-divorce, art. 163 CC pour l’entretien du conjoint, et art. 276 CC pour l’entretien des enfants) et soit soumise à des maximes de procédure également différentes (maximes de disposition et des débats pour l’entretien post-divorce, art. 58 al. 1 et art. 277 al. 1 CPC ; maxime de disposition et maxime inquisitoire sociale pour l’entretien du conjoint, art. 58 al. 1 et art. 271 lit. a cum art. 272 et 276 al. 1 CPC ; maximes d’office et inquisitoire illimitée pour l’entretien de l’enfant, art. 296 al. 1 et 3 CPC), en raison de l’interdépendance évoquée, les connaissances acquises pour l’entretien de l’enfant ne peuvent pas être occultées pour l’entretien du conjoint à fixer dans la même décision, ou en être séparées dans le cadre du calcul global à opérer (cf. ATF 128 III 411 c. 3.2.2; 147 III 301 c. 2.2). Ces considérations, concernant certes l’établissement des faits, doivent s’appliquer par analogie à l’opération juridique de détermination du montant de la contribution d’entretien, qui y est directement liée ; en effet il n’est objectivement pas possible au parent débiteur d’entretien de prendre pour l’entretien du conjoint une conclusion subsidiaire d’un montant inférieur, pour le cas où en application des maximes inquisitoire et d’office, le tribunal allouerait pour l’enfant des contributions d’entretien plus élevées, d’autant qu’il ne peut pas savoir à quel montant supérieur le juge fixera l’entretien pour l’enfant. (c. 2.3) En conséquence, lorsque l’appel porte tant sur les contributions pour le conjoint que sur celles pour les enfants, le juge d’appel qui alloue aux enfants des contributions supérieures à celles offertes pour eux par le débiteur et appelant peut allouer à l’épouse un montant inférieur à celui offert pour elle par l’appelant, dans la mesure où le total des montants fixés demeure supérieur à celui offert.


2022-N10 L’interdépendance des contributions d’entretien pour le conjoint et les enfants et ses conséquences en procédure de recours
Note F. Bastons Bulletti

 
1 L’arrêt confirme la décision d’un juge d’appel qui dans une procédure de mesures provisionnelles de divorce, a réduit la contribution pour l’épouse en-deçà des conclusions du mari appelant. Le TF confirme ainsi que la juridiction précédente pouvait allouer à la requérante moins que ce que la partie adverse n’admettait lui devoir. En l’espèce, l’appel ne portait pas seulement sur la contribution de l’épouse, mais aussi sur l’entretien des trois enfants du couple. Le TF souligne d’abord l’interdépendance entre la contribution d’entretien pour le conjoint et celle pour les enfants, renforcée par l’application, désormais obligatoire, de la méthode en deux étapes avec répartition de l’excédent, lorsqu’il s’agit de fixer le montant de ces contributions, pendant le mariage comme après le divorce (ATF 147 III 265 c. 6.6 ; ATF 147 III 301 c. 4.3). Il en déduit que la décision du tribunal d’appel quant à l’entretien pour l’épouse n’est pas arbitraire, dès lors que le montant total des contributions fixées est supérieur à celui offert par l’appelant.

2 Dans sa jurisprudence récente, le TF a déjà tiré des conséquences de l’interdépendance existant entre la contribution pour le conjoint et celle pour l’enfant, en ce qui concerne le constat des faits pertinents pour fixer ces diverses contributions. Alors même que ce constat est soumis à des maximes qui diffèrent selon le créancier de l’entretien – maxime inquisitoire stricte pour la contribution de l’enfant, maxime inquisitoire sociale pour la contribution du conjoint, maxime des débats pour l’entretien de l’ex-conjoint -, il a déduit de cette interdépendance que des faits non allégués, constatés d’office par le juge pour fixer la contribution pour les enfants, ne peuvent pas être ignorés lorsqu’il s’agit de fixer la contribution pour le conjoint, quand bien même celle-ci n’est soumise qu’à la maxime inquisitoire sociale, voire à la maxime des débats (cf. ATF 147 III 301 c. 2.2 ; ATF 128 III 411 c. 3.2.2, notes sous art 317 al. 1, B.a.a.). Il en résulte que la maxime inquisitoire stricte est en définitive aussi applicable au constat des faits pertinents pour fixer la contribution pour ce conjoint (cf. ég. TF 5A_119/2021 du 14.9.2021 c. 6.2, note ibid.).

3 Dans le présent arrêt, le TF énonce que l’interdépendance des contributions pour le conjoint et pour l’enfant n’influence pas seulement le constat des faits pertinents pour fixer l’entretien du conjoint, mais aussi la fixation même de cet entretien par le juge. L’interdépendance influence ainsi aussi la libre disposition des parties sur l’objet du procès. Certes, la contribution du conjoint est en soi toujours soumise à la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC). Il en résulte que le juge est lié par les conclusions des parties, de sorte qu’il ne peut allouer au conjoint une contribution supérieure à celle qui est réclamée, ou une contribution inférieure à celle que le débiteur a offerte. Cependant, la contribution pour l’enfant est au contraire soumise à la maxime d’office : à cet égard, le juge n’est pas lié par les conclusions des parties (art. 296 al. 3 CPC). Il ressort en outre de l’art. 282 al. 2 CPC que par dérogation au principe selon lequel les points d’un jugement non contestés en appel entrent en force (entrée en force partielle, art. 315 al. 1 CPC), le juge de deuxième instance peut encore réexaminer d’office les contributions pour l’enfant, même lorsque l’appel ne porte que sur la contribution pour le conjoint. Or, ces contributions sont interdépendantes avec la contribution pour le conjoint, particulièrement dans la méthode en deux étapes avec répartition de l’excédent. Le TF en déduit en l’espèce que lorsque la contribution pour le conjoint doit être fixée simultanément à celle de l’enfant, soumise à la maxime d’office, la maxime de disposition se trouve atténuée, en ce sens que le juge n’est pas lié par le montant offert pour le seul entretien du conjoint, mais par le montant total des contributions que le débiteur et appelant a offertes. Ainsi, en l’espèce, le tribunal d’appel a certes alloué à l’épouse un montant inférieur à celui offert pour elle par l’appelant, mais il a simultanément fixé les contributions pour les enfants à un montant bien supérieur à celui proposé par leur père, de sorte que le total alloué n’est pas inférieur à celui offert. Il en résulte que l’on ne peut reprocher aux juges une violation arbitraire de la maxime de disposition dans la fixation de la contribution pour l’épouse.

4 Le TF adopte ainsi, lorsqu’il s’agit de fixer ensemble les contributions d’entretien pour toute la famille, sa jurisprudence dite des vases communicants, appliquée lorsque divers chefs de conclusions ne forment qu’un seul objet du litige, particulièrement lorsqu’une demande porte sur les divers postes d’un préjudice (cf. notes sous art. 58 al. 1, C.3. et newsletter 2019-N28, n° 3 et n°5-5b). Dans les cas où cette jurisprudence est appliquée, la maxime de disposition est atténuée, en ce sens que le juge est certes lié par les conclusions, mais uniquement par le montant total réclamé et par le montant total reconnu – et non par les montants réclamés, et/ou offerts, pour chaque poste. Dans ce cadre, il peut allouer moins qu’il n’est offert pour un poste, et/ou plus qu’il n’est réclamé pour un autre poste.

5 En matière de contributions d’entretien, le TF a déjà appliqué cette jurisprudence à l’entretien d’un conjoint après divorce : en se fondant sur le montant total de l’entretien réclamé, il a admis que la contribution soit augmentée, au-delà du montant réclamé à ce titre, pour tenir compte de la valeur d’un droit d’habitation également réclamé, mais non alloué (TF 5A_667/2015 du 1.2.2016 c. 6.1, note ibid.). Il a en revanche refusé jusqu’à présent d’appliquer cette jurisprudence à des cas analogues à celui examiné ici, estimant que le juge qui avait réduit la contribution d’entretien pour des enfants ne pouvait pas augmenter la contribution pour le conjoint au-delà des conclusions prises à ce titre (cf. TF 5A_97/2017, 5A_114/2017 du 23.8.2017 c. 3.3.1, note ibid. ; TF 5A_906/2012 du 18.4.2013 c. 6.2.2, note sous art. 282 al. 2, selon lequel le juge ne peut compenser entre eux les montants figurant dans les conclusions prises pour les contributions d’entretien dues en faveur des enfants, d’une part, et pour celle due au conjoint, d’autre part ; ég. TF 5A_204/2018 du 15.6.2018 c. 4.1, note ibid. : le principe de disposition interdit d’allouer à l’épouse le montant dont les contributions pour enfants ont été réduites, si la contribution pour celle-ci dépasse ainsi le montant qu’elle a requis pour son propre entretien ; ég. TF 5A_970/2017 du 7.6.2018 c. 3.2, note ibid., dans lequel le TF a refusé d’appliquer la jurisprudence des vases communicants, au motif que les contributions pour l’épouse et pour les enfants sont fondées sur des bases juridiques différentes). Il a également jugé inadmissible de réduire une contribution pour le conjoint, en soi justifiée, au motif qu’il est alloué aux enfants plus que requis et qu’ainsi, le montant total réclamé est dépassé (TF 5A_582/2018, 5A_588/2018 du 1.7.2021 c. 9.2 n.p. in ATF 147 III 393, note ibid.). 

6 Le présent arrêt paraît dès lors isolé, d’autant qu’il ne discute pas la jurisprudence précitée, ni ne la mentionne. La solution choisie nous semble cependant convaincante, eu égard à l’évolution récente de la jurisprudence unifiant le mode de calcul des contributions d’entretien pour le conjoint et pour l’enfant. Il n’est certes pas évident que ces contributions forment un seul objet du litige et elles font chacune l’objet de conclusions spécifiques et chiffrées, reposant sur un fondement juridique distinct (cf. c. 2.2 de l’arrêt). Néanmoins, ces contributions ne sont plus vraiment des prétentions indépendantes : elles sont calculées ensemble, sur les mêmes bases factuelles (revenus et besoins de chaque membre de la famille, cf. ATF 147 III 265 c. 7) et selon une clé de répartition des ressources, de sorte que la fixation ou la modification d’une contribution influence généralement les autres contributions. Dans ces circonstances, la jurisprudence des vases communicants semble adaptée aux contributions litigieuses. 

7 Le présent arrêt, au contraire des précédents (supra N 5), revient certes à approuver une réduction de la contribution du conjoint en-deçà des conclusions de l’appelant, et non à refuser une augmentation de cette contribution au-delà des montants réclamés à ce titre. Les motifs exposés nous semblent cependant aussi pertinents dans le cas où ensuite d’une réduction – sur demande, voire d’office – de la contribution pour l’enfant, le disponible du débiteur se trouve accru et où il se justifie que la contribution pour le conjoint, également litigieuse, soit augmentée au-delà de ce que celui-ci a réclamé à ce titre. La difficulté, évoquée dans l’arrêt, de formuler des conclusions subsidiaires pour l’entretien du conjoint, pour le cas où le tribunal s’écarterait des conclusions de l’appel relatives aux contributions pour enfants, n’est pas moindre pour le conjoint créancier que pour le conjoint débiteur : lui non plus ne peut pas savoir à quel montant inférieur le juge pourrait fixer – cas échéant d’office – la contribution pour l’enfant (cf. cep. ATF 140 III 231 c. 3.5, note ibid., selon lequel le conjoint doit prendre des conclusions subsidiaires pour le cas où ses conclusions concernant l’entretien des enfants ne seraient pas suivies). Enfin, on ne voit pas ce qui justifierait que la maxime de disposition s’applique strictement à la fixation de la contribution du conjoint, ou soit au contraire atténuée par la jurisprudence des vases communicants, selon qu’il s’agit d’augmenter cette contribution, ou au contraire de la réduire.

8 La situation est en revanche différente lorsque seul l’entretien de l’enfant est contesté. Dans la mesure où il n’est pas pris de conclusions relatives à l’entretien du conjoint, l’entrée en force de la décision sur ce point (art. 315 al. 1 CPC) et la maxime de disposition ne permettent pas de modifier la contribution fixée pour celui-ci. Il résulte en outre du texte clair de l’art. 282 al. 2 CPC que cette disposition ne permet que la modification d’office de la contribution pour l’enfant, lorsque seul l’entretien du conjoint est l’objet d’un appel ou d’un recours, mais non l’inverse (cf. TF 5A_582/2020 du 7.10.2021 c.  6.2.3, note ibid.). Ainsi, à défaut de dérogation légale, la contribution du conjoint qui n’est pas ou plus litigieuse ne peut pas être revue d’office, même si la modification – intervenant cas échéant d’office – de la contribution pour l’enfant justifierait un réexamen. Dans ces conditions, le plaideur qui introduit un appel a généralement intérêt à contester tant les contributions fixées pour le conjoint que celles pour les enfants, afin que la jurisprudence des vases communicants puisse s’appliquer. 

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2022-N9, n°…

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