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L’exécution des décisions immédiatement exécutoires, entre leur communication et leur motivation écrite

TC/FR du 2.11.2018  (101 2018 312*) c. 1

Art. 239 al. 2, 315 al. 4 et 5, 325, 263 - DECISION EXECUTOIRE NONOBSTANT APPEL OU RECOURS – COMMUNICATION DU DISPOSITIF SANS MOTIVATION – EXECUTION AVANT NOTIFICATION DE LA DECISION MOTIVEE ?

(c. 1.2) Selon le TF, la question de l’entrée en force des décisions de mesures provisionnelles sujettes à appel est controversée, mais il est admis que ces décisions sont immédiatement exécutoires (ATF 139 III 486 c. 3; ég. TF 5A_681/2014 du 14.4.2015 c. 4.3). Cette jurisprudence concerne cependant des décisions notifiées directement dans leur expédition complète. (c. 1.4) Il faut admettre que même les décisions de mesures provisionnelles dont seul le dispositif a été  communiqué aux parties sont immédiatement exécutoires. En effet, selon les termes clairs de l’art. 325 al. 1 CPC, le recours – et l’appel en matière de droit de réponse et de mesures provisionnelles (art. 315 al. 4 CPC) – ne suspend pas le caractère exécutoire de la décision attaquée. La décision sujette à recours est par conséquent exécutoire dès sa communication, même si celle-ci a lieu uniquement par remise du dispositif selon l’art. 239 al. 1 CPC. La systématique du CPC s’oppose par ailleurs à l’application par analogie de l’art. 112 al. 2 3e phr. LTF (…). En outre, le caractère exécutoire d’une décision dont seul le dispositif a été communiqué ne saurait dépendre de la question de savoir si une partie en requiert la motivation ou si tel n’est pas le cas. Enfin, on rappellera que les décisions rendues en matière de mesures provisionnelles ont régulièrement un caractère urgent qui amène l’autorité à ne communiquer, dans un premier temps, qu’un dispositif et qui impose qu’elles soient exécutoires dès leur communication. (c. 1.5) Afin de ne pas se retrouver sans défense aucune, la partie concernée doit pouvoir disposer d’un moyen pour s’opposer à l’exécution pendant la période de “latence” jusqu’à la notification de la décision motivée. Elle peut en effet encourir le risque de subir un préjudice difficilement réparable tel qu’exigé par l’art. 315 al. 5 CPC également dans la période qui sépare la communication du dispositif de la notification de la décision motivée. L’institution des mesures provisionnelles par application analogique des art. 261 et 263 CPC s’avère à ce titre adéquate pour éviter une exécution forcée, le – futur – recourant peut aborder le tribunal supérieur et requérir le prononcé de mesures provisionnelles empêchant cette exécution forcée, en application analogique de l’art. 263 CPC).

(N 6) L’exécution des décisions immédiatement exécutoires, entre leur communication et leur motivation écrite
Note F. Bastons Bulletti


Cet arrêt destiné à publication, qui rejoint la jurisprudence de plusieurs autres tribunaux cantonaux (cf. notes sous art. 315 al. 5, p.ex. KGer/BL du 19.6.2012 (BL 410 12 182/LIA)), doit à notre avis être approuvé (cf. note ad arrêt TF 5A_6/2016 du 15.9.2016 [ATF 142 III 695 ] in newsletter du 17.11.2016).

Une décision de mesures provisionnelles sujette à appel, comme une décision sujette à recours stricto sensu, est immédiatement exécutoire, dès sa communication. Il en va ainsi , a priori, même si seul le dispositif est communiqué, et non la motivation de la décision. C’est ce qui résulte clairement de l’art. 315 al. 4 CPC, pour les décisions de mesures provisionnelles sujettes à l’appel, et de l’art. 325 al. 1 CPC, pour les décisions susceptibles de recours stricto sensu : ces voies de droit ne suspendent pas l’exécution de la décision attaquée.

La situation, dans ce cas, comporte pour le défendeur condamné l’inconvénient qu’il risque à tout moment une exécution forcée, alors même qu’il ne peut pas encore interjeter appel ou recours, ceux-ci n’étant recevables que contre une décision motivée (cf. TF 5A_678/2013 du 7.11.2013 c. 2.2, note sous art. 239 al. 2); il ne peut dès lors pas non plus requérir l’octroi de l’effet suspensif, selon l’art. 315 al. 5 ou 325 al. 2 CPC. La solution adoptée pour parer à ce risque est à notre avis également fondée : le défendeur, futur recourant, peut d’emblée – càd. avant même la notification de la décision motivée – requérir de l’instance d’appel ou de recours des mesures (super)provisionnelles empêchant cette exécution forcée, en application analogique de l’art. 263 CPC. Ainsi en l’espèce , il a été décidé que la décision « n’est pas exécutoire jusqu’à l’échéance du délai d’appel contre la décision motivée ou, si appel est interjeté, jusqu’à décision de la juridiction d’appel » (dispositif de l’arrêt, ch.1).

Cette solution nous semble préférable à deux autres options :

– la première consisterait à exclure la communication d’un simple dispositif en procédure sommaire, càd. dans les causes où, souvent, l’appel n’a pas d’effet suspensif (cf. art. 315 al. 4 CPC; le recours, lui, n’a par principe pas d’effet suspensif, art. 325 al. 1 CPC) : à défaut de disposition spéciale toutefois, l’art. 239 al. 1 et 2 CPC est en principe applicable – certes seulement par analogie – en procédure sommaire (cf. art. 219 CPC).  Ecarter la possibilité qu’il aménage ne serait en outre pas forcément judicieux : en effet, l’urgence que présupposent les mesures provisionnelles (art. 261 CPC) ne permet pas toujours de rédiger une motivation suffisante de la décision avant de la communiquer ; la nécessité d’une intervention rapide ne devrait pas s’effacer au profit d’opérations de rédaction.

– la seconde – retenue en principe par l’OGer/ZH (arrêt du 11.6.2012 (RT120039) c. II.3.4 et II.3.9, note sous art. 315 al. 5) – consiste à retenir une application analogique de l’art. 112 al. 2 LTF, selon lequel une décision notifiée sans motivation ne peut pas être exécutée avant l’échéance du délai prévu pour en demander une expédition complète, ou avant la notification de cette expédition complète. Ainsi, toute exécution forcée est empêchée, cas échéant jusqu’à la notification de la décision motivée. Cependant, cette solution ignore les art. 315 al. 4 et 325 al. 1 CPC, dont il résulte, de l’avis unanime, que les décisions visées sont immédiatement exécutoires – et non pas exécutoires seulement dès la notification d’une motivation. En outre, cette solution, certes confortable pour le défendeur, pourrait être lourde de conséquences pour le demandeur, qui a obtenu des mesures par définition urgentes (cf. art. 261 CPC) et ne pourrait pas en obtenir exécution avant la notification de la motivation écrite.

Le fait qu’un juge décide, sur requête, de la suspension ou non des mesures ordonnées concilie l’urgence pour le demandeur et le risque pour le défendeur et aménage une solution, prévue par la loi (art. 263 CPC), qui tient compte des circonstances concrètes.

Le problème que pose la situation décrite n’a pas non plus échappé au législateur : dans l’avant-projet de modification du CPC du 2.3.2018, il est proposé d’introduire un al. 2bis à l’art. 239, selon lequel « Une décision communiquée sans motivation écrite est exécutable. Pendant le délai prévu pour la motivation écrite, une partie peut demander au tribunal que
l’exécution soit anticipée ou suspendue. Si nécessaire, le tribunal ordonne des mesures provisionnelles ou lui demande de fournir des sûretés ». La solution choisie a le mérite de préciser clairement que la décision – par quoi il faut à notre avis entendre la décision qui n’est pas sujette à un appel avec effet suspensif au sens de l’art. 315 al. 1 CPC – peut être immédiatement exécutée. Elle s’inspire manifestement de la jurisprudence cantonale susmentionnée, à deux différences près :

– d’une part, elle place la décision provisoire, concernant l’effet suspensif avant la notification de motivation écrite, dans la compétence du premier juge – ce qui ne peut être le cas de lege lata, ce juge étant dessaisi dès la communication de son prononcé. Cette option semble opportune, le premier juge connaissant mieux le dossier que le juge de deuxième instance ;

– d’autre part, malgré le caractère incomplet de la première phrase du texte, elle élargit clairement la solution trouvée à tous les cas, càd aussi au cas inverse de celui étudié, où l’appel suspend l’exécution de la décision de première instance (cas de principe, cf. art. 315 al. 1 CPC) : la décision dont la motivation écrite a été requise n’est pas exécutoire, ce en tout cas jusqu’à la fin du délai d’appel, ou si celui-ci est utilisé, (en principe) jusqu’à la décision de l’instance d’appel. Dans cette situation, la partie qui est condamnée ne court alors pas de risque ; en revanche, la partie qui a obtenu gain de cause doit généralement patienter, pour pouvoir obtenir l’exécution, jusqu’à droit connu sur l’appel. L’art. 315 al. 2 CPC lui permet toutefois de requérir du juge d’appel qu’il lève l’effet suspensif et permette l’exécution anticipée (sous réserve des décisions formatrices visées à l’al. 3) avant qu’il soit statué sur l’appel. Cette démarche suppose toutefois qu’un appel ait été introduit, ce qui suppose à son tour une décision motivée (v. supra). Si une décision est d’emblée communiquée avec une motivation, la partie qui a obtenu gain de cause ne doit patienter, pour pouvoir aborder le juge d’appel selon l’art. 315 al. 2 CPC, que jusqu’à la fin du délai d’appel, càd. au plus 30 jours (art. 311, art. 314 al. 1 CPC). Si toutefois seul le dispositif est communiqué, ce délai d’attente se prolonge du délai de 10 jours pour requérir la motivation (art. 239 al. 2 CPC) et du temps nécessaire à la rédaction de la motivation (l’avant-projet prévoit d’impartir au juge un délai de 4 mois, qui ne serait de toute manière qu’un délai d’ordre, cf. art. 239 al. 2). Là aussi, la possibilité de requérir du premier juge une exécution anticipée, nonobstant la possibilité d’un appel, peut sembler justifiée.

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N6, n…
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