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Représentation de l’enfant mineur dans le procès en entretien mené contre l’un de ses parents

TF 5A_244/2018* du 26.8.2019 c. 2.3, 2.4 et 2.7

Art. 306 al. 2 et 3 CC; art. 67, 295 ss, 299 CPC - PROCÉDURE (INDÉPENDANTE) EN ENTRETIEN DE L’ENFANT – POUVOIR DU PARENT TITULAIRE DE L’AUTORITE PARENTALE DE REPRÉSENTER L’ENFANT – CONFLIT D’INTÉRÊTS, DESIGNATION D’UN REPRESENTANT ?

En application de l’art. 304 al. 1 CC, le parent seul titulaire de l’autorité parentale peut valablement mandater un avocat pour introduire une action en entretien pour l’enfant (sur la problématique du conflit d’intérêts cf. infra c. 2.7). (c. 2.4) Si les parents ont l’autorité parentale conjointe, le pouvoir du parent gardien de décider seul, selon l’art. 301 al. 1bis ch. 1 CC, n’entre pas en considération pour la conduite d’un procès en entretien, qui ne constitue pas une décision courante ou urgente. Il se pose la question de la désignation d’un représentant à l’enfant pour ce procès. (c. 2.7) Selon la jurisprudence, il faut en principe déterminer dans l’abstrait s’il existe ou non un conflit d’intérêts au sens de l’art. 306 al. 2 et 3 CC. La jurisprudence l’a admis lorsque les intérêts du représenté et du représentant légal sont en opposition (ATF 118 II 101 c. 4c) ou lorsque le comportement du représentant légal pourrait être influencé par les intérêts d’un tiers proche, qui ne coïncident pas avec ceux du représenté (ATF 107 II 105 c. 4). Le critère décisif est l’existence d’une possibilité que le représentant légal agisse au détriment du représenté. (c. 2.7.1) Le conflit d’intérêts entre l’enfant et le parent actionné en entretien est manifeste ; le pouvoir de représentation de ce dernier prend fin (art. 306 al. 3 CC), ce qui a en principe pour conséquence que l’autre parent a seul le droit de représenter l’enfant. Dans le contexte de l’entretien de l’enfant, des auteurs admettent aussi l’existence d’un conflit d’intérêts de l’autre parent, lorsque l’entretien du conjoint ou post-divorce est en concours avec l’entretien de l’enfant, ou lorsqu’une contribution de prise en charge est réclamée. En revanche, ils ne semblent pas soutenir qu’il existerait un conflit d’intérêts lorsque seul l’entretien direct [traditionnel] de l’enfant est en jeu. On ne discerne enfin pas de conflit avec l’intérêt du parent qui agit, à devoir lui-même verser moins d’entretien en argent, car dans ce cas, les intérêts de l’enfant et ceux du parent qui agit sont convergents. (c. 2.7.2) Dans la procédure du droit matrimonial relative à l’entretien de l’enfant (procédure de mesures protectrices [art. 176 CC], de mesures provisionnelles de divorce [art. 276 CPC], de divorce [art. 133 al. 1 ch. 4 CC] ou de modification [art. 134 al. 2 ou 179 al. 1 cum art. 286 CC et art. 276 cum art. 268 CPC]), où l’enfant, représenté par le parent qui réclame l’entretien pour lui, n’a pas de véritable position de partie, et où le risque de conflit d’intérêts est plus intense, le législateur n’a pas estimé nécessaire que l’enfant soit représenté dans tous les cas : le tribunal est chargé d’ « examiner » la nécessité d’une représentation de l’enfant et de l’ordonner « si nécessaire » (art. 299 CPC). Ainsi, dans les cas normaux, le législateur a soit estimé qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts pertinent entre le parent représentant et l’enfant représenté, soit il s’en est à tout le moins accommodé ; sinon, il aurait dû faire de la représentation de l’enfant par un curateur la règle. Il doit a fortiori en aller de même pour les procédures indépendantes en entretien, dans lesquelles l’enfant est partie et a dès lors une position procédurale plus forte que dans la procédure matrimoniale. (c. 2.7.3) Tant dans les procédures matrimoniales que dans les procédures indépendantes en entretien de l’enfant, les intérêts de l’enfant sont de plus suffisamment protégés, en principe, par l’application des maximes inquisitoire stricte et d’office (art. 296 al. 1 et 3 CPC). (…) En outre, la concurrence entre l’entretien du conjoint, ou l’entretien post divorce, et l’entretien de l’enfant est réglée par la loi : l’entretien de l’enfant est prioritaire (art. 276a CC). Ensuite, l’enfant a droit à une contribution de prise en charge ([art. 285 al. 2 CC]), qui est au premier chef dans son intérêt. Cette contribution est certes économiquement destinée au parent qui fournit les soins. Dans cette mesure, celui-ci a un intérêt propre à cet entretien. Ses intérêts ne sont cependant pas en contradiction avec ceux de l’enfant, dès lors que l’entretien direct [traditionnel] a le pas sur la contribution de prise en charge (ATF 144 III 481 c. 4.3). (c. 2.7.4) En définitive, en ce qui concerne les pouvoirs de représentation des parents dans la procédure indépendante en entretien de l’enfant, au regard des art. 306 al. 2 et 3 CC, il faut appliquer par analogie les principes de l’art. 299 CPC; le tribunal ou l’autorité de protection de l’enfant ne doit désigner un représentant à l’enfant que lorsque ceci semble nécessaire dans le cas concret.

2019-N25 – Représentation de l’enfant mineur dans le procès en entretien mené contre l’un de ses parents 
Note F. Bastons Bulletti


1 Dans les procédures où il est partie, l’enfant mineur n’a en principe pas la capacité d’ester en justice (cf. art 67 al. 1 a contrario et al. 3 CPC). Il doit agir par l’intermédiaire de son représentant légal (art. 67 al. 2 CPC), soit en général de ses parents, qui sont ses représentants légaux dans la mesure où ils ont l’autorité parentale (art. 296 al. 2 et art. 304 al. 1 CC). Lorsque les parents ont l’autorité parentale conjointe (cas de principe, cf. art. 296 al. 2 CC), ils représentent tous les deux l’enfant ; envers les tiers de bonne foi, chaque parent est présumé agir avec le consentement de l’autre (art. 304 al. 2 CC). Le pouvoir de représentation du détenteur de l’autorité parentale prend toutefois fin, ex lege, dans la mesure où, dans une affaire, ses intérêts entrent en conflit avec ceux de l’enfant (art. 306 al. 3 CC). Dans ce cas, l’autorité de protection doit nommer un curateur à l’enfant ou prendre elle-même les mesures nécessaires (art. 306 al. 2 CC) ; si elle désigne un curateur, elle lui confère le pouvoir de représenter l’enfant au procès (art. 308 al. 2 CC). Dans les procédures du droit matrimonial et, depuis le 1er janvier 2017, aussi dans les procédures indépendantes en entretien de l’enfant, l’art. 299 CPC prescrit en outre au tribunal d’examiner et d’ordonner « si nécessaire » la représentation de l’enfant ainsi que de désigner cas échéant un curateur.

2 La situation est particulière lorsque l’enfant mineur agit contre l’un de ses parents, notamment lorsqu’il réclame une contribution d’entretien dans une procédure indépendante, dans laquelle il est partie principale. Si un seul parent a l’autorité parentale, il peut représenter seul l’enfant (art. 304 al. 1 CC), mais sous réserve d’un conflit entre les intérêts de celui-ci et les siens propres (art. 306 al. 2 et 3 CC, supra N 1). Si les deux parents ont l’autorité parentale, il est évident que le pouvoir de représentation de celui qui est actionné prend fin, selon l’art. 306 al. 3 CC, dès lors que ses intérêts sont manifestement en conflit avec ceux de l’enfant. Seul reste alors le pouvoir de représentation de l’autre parent, comme dans les cas où seul ce parent est titulaire de l’autorité parentale. Il faut cependant examiner si ce parent peut représenter l’enfant, ou s’il se trouve lui-même en conflit d’intérêts avec l’enfant, de sorte qu’un curateur devrait être désigné. C’est à cette question que répond le présent arrêt, destiné à publication.

3  Le TF relève tout d’abord que le risque de conflits d’intérêts est a priori plus élevé dans les procédures matrimoniales que dans les procédures indépendantes en entretien : en effet, le parent gardien peut y réclamer son propre entretien, en concurrence avec celui de l’enfant.  Dans les procédures matrimoniales, l’enfant n’est en outre pas partie : il en résulte que sa position procédurale est plus faible. Il en résulte aussi, même si l’arrêt ne le mentionne pas, que la désignation d’un curateur de représentation selon les art. 306 al. 2 et 308 al. 2 CC n’entre pas en considération : l’enfant n’étant pas partie, si l’un et/ou l’autre des parents fait valoir les droits à l’entretien de l’enfant, il agit certes pour le compte de l’enfant, mais en son propre nom, en tant que Prozessstandschafter (cf. notes sous art. 67 al. 2, en part. ATF 112 II 199 c. 2), et non comme représentant légal de l’enfant ; cela exclut que dans le procès, un curateur de représentation, au sens de l’art. 308 al. 2 CC, agisse à la place de ce parent. Dans ces procédures, la représentation de l’enfant est régie uniquement par l’art. 299 CPC. Or comme le relève le TF, selon l’art. 299 CPC, la désignation d’un curateur n’est prescrite que « si nécessaire » in concreto. Lorsque les parents déposent des conclusions différentes relatives au sort de l’enfant, en particulier en ce qui concerne la contribution d’entretien (art. 299 al. 2 lit. a ch. 5 CPC), la représentation de l’enfant doit être examinée d’office, mais pas nécessairement ordonnée (cf. notes sous art. 299, A.). La désignation d’un curateur n’est ainsi pas la règle. Le TF en déduit qu’aux yeux du législateur, il n’y a pas, in abstracto, de conflit d’intérêts au sens de l’art. 304 al. 2 et 3 CC entre le parent qui agit pour l’enfant et cet enfant, ou du moins, le législateur s’est accommodé de ce risque. Le TF admet qu’il en va de même, a fortiori, lorsque l’enfant agit en entretien dans une procédure indépendante, dans laquelle – au contraire de l’enfant dans une procédure matrimoniale – il bénéficie de la position de partie : l’enfant ne doit ainsi être représenté par un curateur que si dans le cas concret, des motifs particuliers l’imposent. 

4 Cette solution convainc entièrement, tant dans ses motifs que dans son résultat. Ainsi que le démontre l’arrêt (c. 7.2.3), en général les intérêts du parent représentant et ceux de l’enfant représenté ne sont pas en opposition, mais au contraire plutôt convergents. Même lorsque le parent qui réclame l’entretien pour l’enfant demande aussi une contribution de prise en charge (dont il est le bénéficiaire économique, même si le créancier est l’enfant), l’enfant est protégé d’un éventuel conflit d’intérêts, d’une part, par l’application des maximes inquisitoire et d’office (art. 296 al. 1 et 3 CPC) et d’autre part, par le fait que la contribution directe pour l’enfant a le pas non seulement sur l’entretien du conjoint ou ex-conjoint (art. 276a al. 1 CC) – ce qui réduit le risque de conflit d’intérêts dans les procédures matrimoniales – mais aussi, selon la jurisprudence récente du TF, sur la contribution de prise en charge (ATF 144 III 481 c. 4.3). Dès lors, il n’y a dans les procédures indépendantes en entretien en tout cas pas plus de risques qu’en procédure matrimoniale, que le parent représentant agisse au détriment de l’enfant. En prescrivant que dans la procédure indépendante en entretien comme dans une procédure matrimoniale, l’enfant ne soit représenté qu’au besoin par un curateur désigné par le juge, selon l’art. 299 CPC, le TF évite que des procédures indépendantes en entretien ne doivent être précédées d’une procédure de désignation d’un curateur par l’autorité de protection de l’enfant, ce qui les compliquerait et les alourdirait sans nécessité. Par l’application analogique de l’art. 299 CPC, il permet aussi que la désignation d’un curateur soit soumise aux mêmes conditions et à la même procédure dans tous les cas où l’entretien de l’enfant est en jeu, que ce soit dans le cadre d’une procédure matrimoniale ou dans le cadre d’une action indépendante. Dès lors qu’en outre, l’action indépendante peut être menée soit par l’enfant, représenté par le parent gardien, soit par le parent gardien lui-même, agissant en tant que Prozessstandschafter (cf. notes sous art. 67 al. 2, en part. ATF 136 III 365 c. 2 ; ATF 142 III 78 c. 3.2), en son propre nom mais pour le compte de l’enfant – ce qui exclut, comme dans les procédures matrimoniales (supra N 3), la désignation d’un curateur de représentation au sens de l’art. 308 al. 2 CC –, il est également assuré que la désignation d’un curateur obéisse aux mêmes règles (art. 299 CPC), que l’enfant soit ou non partie à la procédure en entretien.

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2019-N25, n…

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