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Clôture de la phase d’allégation à l’audience des débats principaux : le train passe quelques minutes plus tôt

TF 4A_50/2021* du 6.9.2021 c. 2.3, 2.3.3.6 

Art. 229 al. 2 - MAXIME DES DEBATS – MOMENT DE LA CLÔTURE DE LA PHASE D’ALLÉGATIONS – NOTION D’« OUVERTURE DES DÉBATS PRINCIPAUX »

Alors que les éléments systématique et téléologique ne permettent pas d’acquérir de connaissances quant à la signification de l’art. 229 al. 2 CPC, l’élément linguistico-grammatical indique que « l’ouverture des débats principaux » signifie un moment antérieur aux premières plaidoiries selon l’art. 228 CPC. L’élément d’interprétation historique va dans le même sens. Dans une appréciation d’ensemble, il faut dès lors constater que selon l’art. 229 al. 2 CPC, les faits (dont font aussi partie les contestations ; TF 4A_498/2019 du 3.2.2020 c. 1.5) et moyens de preuves nouveaux doivent être introduits au procès avant les premières plaidoiries. Cette présentation (non limitée) au début de l’audience des débats principaux doit dès lors être distinguée des premières plaidoiries, mentionnées à l’art. 228 CPC. Il faut certes concéder aux auteurs qui rejettent un tel procédé, en considérant qu’il n’est pas praticable et qu’il complexifie la procédure, qu’une telle séparation occasionne aux parties plus de travail de préparation de l’audience et que le temps que prend l’audience principale pourrait (marginalement) augmenter, mais ces inconvénients sont compensés par le fait que les nouveaux éléments doivent ainsi être formulés clairement pour la partie adverse et le tribunal, ce qui décharge le tribunal et favorise aussi l’égalité des armes.  

2021-N20 Clôture de la phase d’allégation à l’audience des débats principaux : le train passe quelques minutes plus tôt
Note F. Bastons Bulletti


1 Dans les procédures soumises à la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC), le tribunal ne peut fonder sa décision que sur les faits qui ont été allégués et prouvés ou qui sont restés incontestés. La présentation d’allégués et d’offres de preuve est ainsi essentielle pour les parties. Même en première instance, elles ne peuvent cependant pas y procéder indéfiniment. Expression de la maxime éventuelle (cf. ATF 146 III 416 c. 5.3, note sous art. 229, généralités), l’art. 229 al. 2 CPC leur impose de les introduire dans une certaine phase du procès (phase d’allégation), chacune disposant alors de deux tours de parole illimitée (principe de la deuxième chance ; pour la procédure sommaire, cf. cep. notes sous art. 229 al. 1 et 2, A.2.b., en part. ATF 144 III 117 c. 2.2 et ATF 146 III 237 c. 3.1). Ni les parties, ni le juge ne peuvent déroger à cette règle, en (s’)octroyant un tour de parole supplémentaire (cf. notes sous art. 229 al. 1 et 2, A.1., en part. ATF 146 III 55 c. 2.4.1 – 2.4.3) ou en choisissant une autre phase du procès pour y exercer leurs tours de parole. Le premier tour est exercé dans le cadre de la première écriture (demande, art. 221 CPC, resp. réponse, art. 222 CPC), ou à défaut (en procédure simplifiée, cf. art. 245 CPC), de la première audience. L’art. 229 al. 2 CPC règle le second tour de parole :  s’il n’y a eu ni second échange d’écritures, ni audience d’instruction (ou si celle-ci n’a eu pour objet que des pourparlers transactionnels, cf. ATF 144 III 67 c. 2.4.2, note ibid.), la seconde chance est donnée « à l’ouverture des débats principaux » (« zu Beginn der Hauptverhandlung » ; « all’inizio del dibattimento »). Après ce moment, la phase d’allégation est close : des nova (faits ou moyens de preuves nouveaux) ne peuvent alors être introduits au procès qu’aux conditions strictes posées à l’art. 229 al. 1 CPC (ATF 146 III 55 c. 2.5.2, note ibid. : vrais nova, ou pseudo nova excusables, présentés sans retard). 

2 L’affaire objet du présent arrêt, destiné à publication, oppose deux parties dans un procès civil mené en procédure ordinaire et soumis à la maxime des débats. Après un échange d’écritures, le Tribunal cite les plaideurs à l’audience des débats principaux pour une “réplique/duplique orales” et une tentative de conciliation. A l’ouverture des débats, l’avocat du demandeur commence à lire ses notes de plaidoiries ; il est rapidement interrompu par le mandataire de la partie adverse, qui exige au préalable qu’il présente des faits. Pressé par son confrère et par le président, l’avocat formule alors un seul allégué.  Par la suite, dans le cadre des premières plaidoiries, il lit entièrement ses notes, en contestant des allégués de la réponse. Le tribunal statue ultérieurement et admet partiellement la demande ; il tient compte des contestations du demandeur présentées dans ses premières plaidoiries. Le défendeur interjette vainement appel, puis dépose un recours au TF. Il reproche au tribunal de s’être fondé sur des faits introduits irrégulièrement, après la clôture de la phase d’allégations. Le TF admet le bien-fondé du grief, en retenant qu’à l’audience des débats principaux, le second tour de parole doit être exercé avant, et non pendant, les premières plaidoiries. Il rejette cependant le recours, au motif qu’en l’espèce, l’attitude du mandataire du défendeur est contraire à la bonne foi (art. 52 CPC ; c. 2.3.5 de l’arrêt) : en exigeant une « présentation de faits » formelle, celui-ci a en effet empêché indûment son confrère d’introduire à temps au procès les allégués et contestations que contenaient ses notes de plaidoirie ; celles-ci présentaient en réalité dans leur forme et leur fond, les caractéristiques d’un mémoire de réplique, et non de plaidoiries au sens de l’art. 228 al. 1 CPC.

3 L’arrêt donne ainsi l’occasion au TF d’interpréter l’expression « à l’ouverture des débats principaux » qui fixe le moment du second tour de parole illimitée (art. 229 al. 2 CPC). Dans sa précédente jurisprudence, il avait d’abord estimé qu’elle visait les premières plaidoiries (art. 228 CPC ; TF 5A_767/2015 du 28.3.2017 c. 3.3, note sous art. 229 al. 1 et 2, A.1), puis il a affirmé – sans motivation – qu’il s’agissait du moment précédant celles-ci (ATF 144 III 67 c. 2.1, notes ibid. et critique M. Heinzmann in newsletter du 7.2.2018), ce qu’il a ensuite réaffirmé dans plusieurs arrêts, toujours sans motivation. Dans le présent arrêt, il réexamine cette solution, critiquée par une majorité d’auteurs. Procédant à une interprétation complète de l’art. 229 al. 2 CPC (pluralisme de méthodes, cf. notes sous art. 1, Généralités – Principes d’interprétation, en part. ATF 145 III 324 c. 6.6), il la confirme. 

4 L’arrêt a le mérite d’examiner la question de manière approfondie. Cependant, cet examen ne convainc pas entièrement. D’abord, l’interprétation littérale des trois versions linguistiques des art. 229 al. 2 et 228 al. 1 CPC (cf. c. 2.3.3.2 de l’arrêt) ne donne pas de résultat suffisamment clair, sans quoi le TF aurait pu et dû s’en tenir à celle-ci (cf. ATF 137 III 470 c. 6.4, note sous art. 1, ibid. : l’on ne peut qu’exceptionnellement s’écarter d’un texte clair). En effet, seul le texte français indique une possible distinction chronologique entre le second tour de parole (« à l’ouverture des débats principaux », art. 229 al. 2 CPC) et les premières plaidoiries (« une fois les débats principaux ouverts », art. 228 al. 1 CPC). Les autres versions linguistiques n’excluent pas que le second tour de parole, fixé « au début » (« zu Beginn » « all’inizio ») des débats principaux, soit exercé dans les premières plaidoiries selon l’art. 228 al. 1 CPC, qui ont lieu « nach der Eröffnung der Hauptverhandlung » ; « Aperto il dibattimento ».

5 Recourant aux autres méthodes d’interprétation, le TF considère que les méthodes systématique et téléologique ne donnent pas de résultat (c. 2.3.3.4 et 2.3.3.5 de l’arrêt). Il s’appuie en définitive sur l’interprétation historique. S’il est vrai que celle-ci constitue un moyen d’interprétation important, surtout pour une loi récente (cf. ATF 139 III 78 c. 5.4.3, note ibid.), il faut encore, pour qu’elle soit décisive, que les travaux préparatoires permettent de dégager l’intention du législateur (ATF 145 III 324 c. 6.6, note ibid.). Or, l’art. 229 CPC ayant donné lieu à de multiples débats aux Chambres, qui ont sensiblement modifié le projet du Conseil fédéral, on n’y trouve pas de réponse claire. Comme le montrent les raisonnements tenus dans l’arrêt (c. 2.3.3.3), le TF doit se contenter de maigres indices : il s’avère ainsi que l’actuel art. 229 al. 2 CPC a été présenté comme une solution de compromis entre les partisans de la célérité, qui proposaient que la phase d’allégation prenne fin avant l’audience des débats principaux, et les tenants de la vérité matérielle, qui souhaitaient qu’elle ne s’achève qu’après les premières plaidoiries. Cependant, aucun élément n’indique exactement la teneur de ce compromis. A supposer même que ce dernier consiste à clore la phase d’allégations à l’ouverture des débats principaux, plutôt qu’après les premières plaidoiries – qui ont lieu quelques instants plus tard -, on n’y voit aucun gain de temps, ni dès lors de compromis ayant pu décider les partisans de la célérité à abandonner leur position. En définitive, le raisonnement tenu peine à convaincre, d’autant qu’il motive une solution compliquée (infra N 6 ss) qui ne nous semble pas s’imposer. 

6 La solution donnée implique, pour les parties, de séparer rigoureusement leurs allégués de faits, offres ou réquisitions de preuves, qu’il faut impérativement présenter à l’ouverture des débats, des autres développements, à exposer dans les premières plaidoiries qui suivent la clôture de la phase d’allégations. Au demeurant, dès lors que les faits et preuves en sont exclus, l’on discerne mal en quoi ces développements peuvent désormais consister, hormis d’éventuels arguments de pur droit, ou une précision ou modification des conclusions (aux conditions de l’art. 230 CPC), voire des réquisitions de procédure (récusation, jonction des causes, sûretés …).

7 Cette solution est d’abord surprenante, car elle n’est imposée que lorsque la phase d’allégation doit prendre fin aux débats principaux. Si le juge ordonne un second échange d’écritures (art. 225 CPC), ou des débats d’instruction (art. 226 CPC), dans lesquels les parties bénéficient du second tour de parole (art. 229 al. 2 a contrario CPC), il n’est pas exigé qu’elles présentent leurs allégués et offres de preuves séparément et avant toute autre opération. On comprend mal en quoi cette séparation s’impose aux débats principaux, mais non lorsque la phase d’allégations doit être close déjà avant. Elle est d’autant moins compréhensible qu’à lire l’art. 228 CPC, les premières plaidoiries – qui selon le présent arrêt, sont postérieures à la clôture de la phase d’allégations – servent à motiver les conclusions, soit essentiellement à présenter des faits et offres de preuves. Pourtant, selon le présent arrêt, une telle présentation dans les premières plaidoiries est déjà tardive.

8 La solution est en outre source d’insécurité et de complications. D’une part, elle crée un risque considérable pour le plaideur non averti : elle fait du second tour de parole une opération de procédure spécifique, qui – uniquement – à l’audience des débats principaux (supra N 7), doit impérativement être effectuée avant les premières plaidoiries (supra N 6) et a une bien plus grande importance que ces dernières, mais que la lecture de la loi ne permet pas de déceler : notamment, l’art. 228 CPC ne mentionne que les premières plaidoiries et l’art. 229 al. 2 CPC renvoie en définitive vers l’art. 228 CPC. Le cas d’espèce (v. N 2) démontre en outre que même pour des avocats ou magistrats, l’exercice de délimitation pour définir ce qui in casu, relève d’une présentation des faits ou d’une première plaidoirie, peut être délicat et soulever des contestations. Le TF a du reste été contraint de recourir à l’art 52 CPC pour éviter à l’intimé, manifestement empêché à l’audience de compléter à temps ses allégués de faits, un résultat choquant. Dans ces conditions, on peut a fortiori douter que des plaideurs inexpérimentés et non assistés d’un avocat distinguent l’ouverture des débats des premières plaidoiries, ainsi que les allégués de fait et offres de preuve des autres développements. Dans ces cas, le juge devrait certes renseigner les parties et les rendre attentives à la clôture de la phase d’allégations, en précisant qu’elles ne pourront ensuite plus alléguer de faits et offrir ou requérir des preuves. Il n’est cependant pas certain que sa tâche s’en trouve facilitée, ni que les plaideurs, qui comprendront ce qu’ils pourront, soient à l’abri de mauvaises surprises. 

9 La solution crée en outre des risques, car les conséquences d’une erreur sont particulièrement lourdes : sauf à démontrer que les conditions de l’art. 229 al. 1 CPC sont réunies, les faits ou moyens de preuves invoqués dans les premières plaidoiries sont écartés, alors même qu’ils auraient été pris en considération quelques minutes plus tôt. Une sanction aussi lourde ne peut être justifiée par la célérité, dès lors que le tour de parole illimité a lieu à la même audience que les premières plaidoiries. Quant à la clarté évoquée par le TF, elle suppose une application sans faille de sa jurisprudence. En cas d’erreur, réelle ou prétendue par la partie adverse, le procès sera au contraire ralenti et alourdi par de nouveaux incidents de procédure. 

10 Les plaideurs doivent en tout cas garder à l’esprit que même si l’art. 228 CPC ne l’indique pas, la présentation illimitée d’allégués de fait et offres de preuves à l’audience des débats principaux doit avoir lieu impérativement avant les premières plaidoiries. Pour lever tout doute sur la nature de leur intervention, ils ont intérêt à préciser d’emblée et clairement qu’ils procèdent à une présentation d’allégués et de preuves et non à des premières plaidoiries. En cas d’hésitation sur la nature – allégué ou contestation de fait, preuve, ou autres arguments – des éléments à présenter, ils seront bien avisés de les introduire dès l’ouverture des débats, pour ne pas risquer le reproche de tardiveté. 

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2021-N20, n°…

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