Aujourd’hui, je suis consultée par une société qui me demande de rédiger un contrat de travail. Elle est en train d’embaucher un cadre domicilié dans un autre canton. Il travaillera partiellement en télétravail, à domicile, et sinon, au siège de l’entreprise. Les proportions ne sont pas encore fixées mais seraient à peu près égales.
Ma cliente voudrait cependant s’assurer qu’en cas de litige résultant de ce contrat, la procédure se déroule au for de son propre siège. Peut-on le lui assurer ? Et si oui, comment ? Il faut que je vérifie.
Pour cela, je peux par exemple chercher dans la table des matières du CPC Online.
J’ouvre la table des matières et je vois sous « Titre 2 Compétences des tribunaux et récusation » « Compétence à raison du lieu » et, un peu plus bas, « Action découlant d’un contrat : Droit du travail ». Je vais voir. L’alinéa 1 m’indique que « Le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou celui du lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle est compétent pour statuer sur les actions relevant du droit du travail. ».
Cela signifie que si c’est ma cliente qui agit contre l’employé, elle aura le choix entre le for du domicile de l’employé et celui du lieu d’exercice habituel de l’activité professionnelle. Si c’est l’employé qui agit contre ma cliente, il devra agir soit au siège de la cliente, soit au lieu où il exerce habituellement son activité professionnelle. Mais est-ce qu’on pourrait prévoir dans le contrat une dérogation ? En ce sens que le for serait toujours au lieu du siège de l’employeur.
Malheureusement, la première note que je vois sous le message m’indique tout de suite que non, le for est relativement impératif et je vois dans le résumé d’arrêt suivant que cela signifie que l’employé ne peut pas renoncer à ce for avant la naissance du litige ou par acceptation tacite. Donc une clause de prorogation de for n’entre pas en considération.
Par conséquent, la seule solution pour que le for, en cas de litige, soit au siège de ma cliente, c’est que le lieu d’exercice habituel de l’activité professionnelle coïncide avec le siège. Mais est ce que ce sera le cas ? Alors, qu’entend-on d’abord par « lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle » ? Dans le sommaire, je vois une rubrique B, précisément lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle. Allons voir.
Je vois, dans un premier arrêt, qu’il est indiqué que le lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle se trouve là où se localise effectivement le centre de l’activité professionnelle. Mais dans notre cas, où serait ce centre ? L’arrêt suivant m’indique que s’il y a plusieurs lieux d’activité, le lieu prépondérant est décisif. Cependant, s’il n’y a pas de lieu prépondérant, il est considéré qu’il n’y a pas de for au lieu de l’activité habituelle. Je vois cependant que ce n’est envisagé qu’avec retenue. Poursuivons notre recherche.
L’arrêt suivant me confirme cette solution dans un cas où, du point de vue quantitatif, les activités dans chacun des deux lieux ne présentaient pas de différence significative et où une appréciation qualitative était malaisée. Dans notre cas, il n’est pas souhaitable qu’il n’existe pas de lieux de l’activité habituelle, car cela impliquerait que si ma cliente doit agir contre son employé, elle n’aura pas d’autre choix que le for du domicile du défendeur. Il faut donc qu’il y ait un lieu d’activité habituel et donc un lieu prépondérant d’activité et que ce lieu se situe au siège de l’employeur.
Pourrait on le prévoir expressément dans le contrat pour éviter qu’il n’existe pas de for au lieu de l’activité habituelle ? L’arrêt suivant est intéressant. Il m’indique qu’il n’est pas exclu de le prévoir par une clause contractuelle, mais il en ressort que cela ne suffira pas forcément, puisque la manière dont la relation de travail s’est effectivement déroulée prime l’accord théorique préalable.
La suite du résumé me montre que même lorsque la clause sert à départager divers lieux de travail pour en désigner un comme lieu habituel, la prudence est de mise. Or, dans notre cas, il s’agit de désigner un lieu prépondérant qui correspond au siège de l’employeur, c’est à dire qui n’est pas très favorable à l’employé. Par prudence et pour éviter des discussions, il faut donc que dans les faits aussi, l’activité prépondérante s’exerce assez clairement au siège de l’employeur.
Je vois dans le même résumé que le lieu où est effectué le télétravail n’est qu’un paramètre parmi d’autres et qu’il est effectué une appréciation globale des éléments quantitatifs et qualitatifs pour désigner le lieu habituel de l’activité. Dans notre cas, l’élément quantitatif ne sera pas décisif puisqu’il est envisagé un partage à peu près égal entre le temps de travail au siège et celui en télétravail. Il faut donc qu’une appréciation qualitative permette d’affirmer que le lieu de travail habituel est au siège de l’employeur.
Je vois aussi que des éléments quantitatifs, même ténus, tels la participation à des séances de direction ou la rencontre de clients, peuvent permettre de retenir l’un des lieux de travail comme celui de l’activité habituelle. J’ai déjà les éléments de base. Je peux creuser encore en lisant les arrêts en entier, de même qu’en lisant les commentaires d’arrêts, mais je sais déjà les éléments suivants: d’une part que je pourrai ajouter dans le contrat que le lieu d’activité habituel est au siège de la société, tout en sachant qu’en soit tout seul, ce ne sera pas forcément décisif. Et ensuite, j’aviserai ma cliente que le for ne sera à son siège que si, dans les faits, les activités essentielles du cadre employé sont clairement accomplies ou du moins planifiées au siège, ce qui devra ressortir clairement du contrat ou d’un règlement de télétravail auquel renverra le contrat.
J’ai ce qu’il me faut pour rédiger un projet et renseigner ma cliente. Ma recherche est terminée en quelques minutes, j’ai obtenu les informations dont j’avais besoin.