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Défaut de réponse en procédure ordinaire et administration d’office des preuves : un doute peut en cacher un autre

TF 4A_196/2021 du 2.9.2022 c. 3.2 – 3.3 et c. 3.4

Art. 223 al. 2, art. 229 al. 2, art. 153 al. 2 - DEMANDE EN DOMMAGES-INTÉRÊTS – DÉFAUT DE RÉPONSE – CITATION DE LA CAUSE AUX DÉBATS PRINCIPAUX – REJET DE LA DEMANDE (NOTAMMENT) SUR LA BASE D’UNE PIÈCE PRODUITE PAR LA DÉFENDERESSE DANS SES PREMIERES PLAIDOIRIES ECRITES

Sous réserve de restitution (art. 148 CPC), la partie défaillante est déchue du droit de procéder à l’acte de procédure qu’elle aurait dû accomplir jusqu’à l’expiration du délai ou jusqu’à la date de l’audience et elle ne peut plus l’opérer ultérieurement (TF 4A_106/2020 du 8.7.2020 c. 2.2 ; cf. aussi TF 5A_545/2021 du 8.2.2022 c. 3.2, tous av. réf.). (c. 3.3) Le TF déduit du principe selon lequel les parties ont deux fois la possibilité de s’exprimer sans restriction sur la cause [art. 229 al. 2 CPC] que la partie défenderesse peut sans autre présenter des faits nouveaux, et dès lors aussi, des contestations nouvelles, lors de sa seconde possibilité de s’exprimer sans restriction (TF 4A_498/2019 du 3.2.2020 c. 1.5 et réf.). En soi, cela plaide en faveur de la possibilité de prendre en considération les allégués de la défenderesse [qui en l’espèce, n’a déposé aucune réponse]. On peut toutefois se demander si l’on peut en déduire qu’il serait permis, sans aucune restriction (même pour des raisons de tactique procédurale), d’introduire progressivement la matière du procès (cf. sur les exigences de principe posées à la réponse et à la réplique : art. 222 al. 2 CPC ; ATF 144 III 519 c. 5.2.2.1 ; TF 4A_535/2018 du 3.6.2019 c. 4.2.2 ; 4A_243/2018 du 17.12.2018 c. 4.2.3). Le risque serait alors que la question de savoir si les circonstances exigent un second échange d’écritures (art. 225 CPC) soit tranchée dans de mauvaises conditions et que le défendeur puisse de fait priver le demandeur de la procédure écrite prévue par le CPC, en laissant arriver la procédure orale sans grandes contestations et en ne soulevant de contestations importantes qu’à ce moment-là. Un tel contournement de la procédure écrite ne serait pas conforme à l’esprit du CPC (cf. déjà TF 4A_28/2017 du 28.6.2017 c. 2 i.f.). (c. 3.4) Il n’est pas nécessaire de traiter de manière définitive la question de savoir s’il existe une seconde possibilité de s’exprimer sans restriction [selon l’art. 229 al. 2 CPC] après le défaut de réponse. (c. 3.4.1) Selon l’art. 153 al. 2 CPC, le tribunal peut administrer d’office des preuves même sur un fait non litigieux, s’il existe des doutes sérieux quant à sa véracité. Ces doutes peuvent même ne survenir qu’après la clôture de la phase d’allégations (cf. TF 4A_375/2016 du 8.2.2017 c. 5.3.3). Par conséquent, même si l’on admet qu’il est interdit à la défenderesse de rattraper la contestation omise en tant que telle, ses arguments peuvent soulever des doutes sur des faits non contestés, doutes qui permettent au tribunal d’administrer d’office des preuves. (c. 3.4.2) Les arguments de la partie défenderesse, lorsqu’elle n’a pas déposé de réponse, ne doivent pas être limités aux points sur lesquels le tribunal a estimé que l’affaire n’était pas encore en état d’être jugée. Le fait que les points prêts à être jugés auraient pu être tranchés sans autre audition plaiderait certes en ce sens. Le texte du CPC ne permet cependant pas de déduire une telle restriction. Elle ne semble pas non plus justifiée au regard du but poursuivi par l’art. 153 al. 2 CPC, à savoir relativiser la maxime des débats au profit de la vérité matérielle (TF 4A_375/2016 précité, c. 5.3.3). Elle serait contraire au principe selon lequel le défaut n’a pas en soi l’effet d’une reconnaissance [des allégués de la partie adverse], mais qu’un tel effet ne peut résulter que de l’absence, ensuite du défaut, d’une contestation juridiquement suffisante (TF 4A_106/2020 précité c. 2.3.1), la procédure se poursuivant sans la contestation. Or, l’application de l’art. 153 al. 2 CPC suppose précisément qu’il n’y a pas eu de contestation (juridiquement suffisante) (TF 4A_375/2016 précité c. 5.3.3) et la procédure par défaut constitue précisément un cas d’application principal de cette disposition.

2023-N2 Défaut de réponse en procédure ordinaire et administration d’office des preuves : un doute peut en cacher un autre
Note F. Bastons Bulletti


1 Dans sa demande en dommages-intérêts fondée sur la responsabilité médicale, une demanderesse ne formule pas d’allégués de faits ni d’offres de preuves ; elle se réfère au jugement définitif précédemment rendu sur une action partielle en réparation du tort moral, qu’elle avait introduite contre la même défenderesse sur le même fondement en faits, procédure dans laquelle elle a obtenu (partiellement) gain de cause. Dans cette première procédure, la défenderesse n’avait pas déposé de réponse et le tribunal avait admis, après administration de preuves, une violation du contrat de soins. Dans la procédure en dommages-intérêts, la défenderesse ne dépose là encore aucune réponse à la demande, bien qu’un délai de grâce lui soit imparti. Le tribunal décide alors d’assigner une audience des débats principaux (art. 223 al. 2 CPC), au motif qu’il nourrit des doutes en ce qui concerne la quotité du dommage (art. 153 al. 2 CPC). Dans ses premières plaidoiries (écrites), la demanderesse souligne que les allégués de sa demande sont demeurés incontestés ; elle introduit en outre des allégués et offres de preuves. La défenderesse y rétorque que le mémoire de demande ne contenait aucun allégué de fait auquel elle aurait pu répondre ; elle produit également une pièce nouvelle, soit une anamnèse établie au cours du traitement médical litigieux. Dans sa réplique aux premières plaidoiries, la demanderesse conteste la recevabilité de cette pièce, sans s’exprimer sur son contenu. Le tribunal refuse d’écarter la pièce du dossier, de même que la première plaidoirie de la défenderesse, et limite la procédure à la question du principe de la responsabilité médicale. L’administration des preuves a lieu, puis les plaidoiries finales. Le tribunal rejette ensuite entièrement la demande : en se fondant principalement sur la pièce produite par la défenderesse au stade des premières plaidoiries, il considère qu’il n’y a pas eu de violation des obligations contractuelles. Le tribunal supérieur confirme cette décision. La demanderesse recourt en vain au TF.

2 Elle invoque tout d’abord – sans succès – l’effet contraignant de fait de la décision sur l’action partielle, dans laquelle le tribunal a admis une violation du contrat de soins, en soutenant qu’il ne se justifie pas de s’écarter de la motivation de ce jugement (cf. note 2023-N1 supra). Elle soutient ensuite que la défenderesse, défaillante, n’était pas recevable à présenter de nouveaux allégués ou offres de preuves dans ses premières plaidoiries, de sorte que les allégués de la demande devaient être considérés comme incontestés. Dans son arrêt, curieusement rendu dans la composition ordinaire de trois juges et non destiné à publication, le TF a l’occasion d’aborder plusieurs questions controversées.

3 En se référant à un arrêt récent (TF 4A_498/2019 du 3.2.2020 c. 1.5 et réf., note sous art. 229 al. 1 et 2, A.1.), le TF examine d’abord jusqu’à quel point un défendeur qui a déposé une réponse incomplète peut attendre le second tour de parole résultant de l’art. 229 al. 2 CPC pour contester pour la première fois des allégués de la demande (cf. c. 3.3 de l’arrêt). Il a certes déjà admis en principe que ce second tour de parole impliquait la recevabilité de telles contestations (TF 4A_498/2019 précité; cf. ég. PC CPC-Heinzmann art. 223 N 3, qui souligne que dans ce cas, le défendeur n’est pas défaillant ; la procédure se poursuit dès lors normalement, sans forclusion). Cependant, le TF envisage ici des limites : en effet le défendeur pourrait utiliser son droit à un second tour de parole illimitée à des fins tactiques, càd. attendre la phase orale de la procédure (concrètement : l’audience d’instruction, ou le début de l’audience des débats principaux) pour présenter ses contestations les plus importantes et placer ainsi le demandeur dans la situation de devoir se déterminer, par oral, sur des novas de duplique (sur cette notion, cf. notes sous art. 229 al. 1 et 2, B.2.b., part. ATF 146 III 55 c. 2.5.2). Le demandeur peut certes y réagir en présentant des (pseudo)nova, qui sont en général considérés comme recevables au regard de l’art. 229 al. 1 lit. b CPC (ATF 146 précité et ATF 146 III 416 c. 6, ibid.). Néanmoins, il n’a alors pas d’autre alternative que de réagir immédiatement et par oral à l’audience, au risque d’être incomplet ou non pertinent, ou de demander la fixation d’un délai pour se déterminer, en perdant le bénéfice de l’audience déjà assignée, voire en risquant des contestations sur la recevabilité de ses nouveaux arguments. On comprend ainsi que le TF qualifie ce procédé de contournement de la procédure écrite non conforme à l’esprit du CPC (cf. ég. TF 4A_28/2017 c. 2 i.f., note sous art. 223, A. et note M. Heinzmann in newsletter du 14.9.2017, dans lequel le TF assimile un mémoire de réponse formellement vicié et non corrigé à un défaut de réponse) et n’étende pas la solution de l’arrêt 4A_498/2019 au cas présent, dans lequel aucune réponse n’a été déposée. Au surplus, l’art. 222 al. 2 CPC prescrit certes que la contestation des allégués de la demande intervienne dans la réponse et il semble peu compatible avec la maxime éventuelle (cf. ATF 146 III 416 c. 5.3, note sous art. 229, Généralités) qu’un plaideur puisse, à discrétion, l’opérer dans sa première écriture, ou seulement à l’ouverture des débats principaux. Cependant, l’art. 229 al. 2 CPC, qui s’applique en tout cas lorsque le défendeur n’est pas défaillant (cf. infra N 8), déroge à une application stricte de la maxime éventuelle en permettant l’introduction de « faits et moyens de preuves nouveaux » lors du second tour de parole, sans les limiter à des nova excusables (au contraire de l’art. 229 al. 1, après la fin de la phase d’allégations) : on ne saurait donc exiger que dans ce second tour de parole, le plaideur n’introduise que des arguments qu’il n’a pas pu présenter auparavant ; seul un abus manifeste pourrait à notre avis être sanctionné. 

4 Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de cela en l’espèce : d’une part, la défenderesse a présenté ses arguments dans ses premières plaidoiries écrites, et non par oral à l’audience. D’autre part, elle n’a pas précédemment déposé une réponse incomplète, mais aucune réponse. Or, l’arrêt 4A_498/2019 précité ne vise pas le cas – spécifiquement réglé par la loi – d’un défaut de réponse, au sens de l’art. 223 al. 2 CPC.

5 Selon la règle générale de l’art. 147 al. 2 CPC, en cas de défaut, la procédure se poursuit sans l’acte omis. Le défaut produit ainsi un effet forclusif : le plaideur est déchu du droit de procéder à cet acte et ne peut le rattraper par la suite, comme le TF le rappelle (c. 3.2 de l’arrêt et réf. ; v. ég. ATF 146 III 297 c. 2.3, note sous art. 147 al. 2). L’art. 223 al. 2 CPC précise la règle générale précitée, pour le défaut de réponse en procédure ordinaire : à l’expiration du délai de grâce prévu par l’art. 223 al. 1 CPC, la procédure se poursuit – sans l’acte omis – soit par une décision finale immédiate, soit par la citation des parties au débats principaux, selon que la cause est ou non en état d’être jugée

6 Le défaut de réponse n’équivaut pas à un acquiescement à la demande (qui selon l’art. 241 CPC, lierait le juge, mettrait directement fin au procès et aurait l’autorité de chose jugée d’une décision ; cf. TF 5A_749/2016 du 11.5.2017 c. 4 et 5, note sous art. 223 al. 2, 1.), ni même, en soi, à une reconnaissance des allégués du demandeur (cf. c. 3.4.2 de l’arrêt et réf.). Néanmoins, faute de réponse, ces allégués ne sont pas contestés (cf. art. 222 al. 2 CPC a contrario), de sorte qu’ils ne doivent pas être prouvés (art. 150 CPC a contrario : la preuve porte sur les faits contestés). Lorsque la maxime des débats est applicable, ce qui est en principe le cas en procédure ordinaire, cette absence de contestation lie en principe le juge (cf. cep. infra, N 7d). Il en résulte qu‘en pratique, celui-ci estime le plus souvent que la cause est en état d’être jugée. Ainsi, le défaut de réponse a généralement pour conséquence que le tribunal statue immédiatement sur la demande, comme le permet l’art. 223 al. 2 CPC. Ceci ne signifie pas nécessairement l’admission de la demande : le tribunal peut la juger d’office (art. 60 CPC) irrecevable (étant rappelé qu’il peut ég. constater d’office les faits qui s’opposent à la recevabilité, cf. notes sous art. 60. A.a.b.), p.ex. faute d’autorisation de procéder ou de compétence (étant souligné qu’à défaut de réponse, une « Einlassung » du défendeur devant un tribunal localement incompétent, selon l’art. 18 CPC, est exclue). Il peut même la rejeter, s’il résulte déjà de l’exposé des faits que les conditions de la norme invoquée ne sont pas réunies (cf. KGer/BL du 24.4.2012 [400 12 25] c. 2, note sous art. 223 al. 2 : demande libellée en euros, alors que la dette était en francs suisses). Si en revanche la demande n’est pas suffisamment motivée, en ce sens qu’elle ne contient pas d’allégués concluants, il semble exclu d’admettre que la cause est en état d’être jugée (cf. infra N 7c). 

7 La cause n’est cependant pas en état d’être jugée dans les cas suivants :

7a – si le demandeur doit encore être entendu – p.ex. sur une condition de recevabilité de sa demande, qui pourrait ne pas être réalisée et sur laquelle il ne s’est pas exprimé (cf. KuKo ZPO-Richers/Naegeli art. 223 N 10), ou plus généralement, sur une motivation juridique que le tribunal envisage de retenir et à laquelle le demandeur ne devait pas raisonnablement s’attendre (BSK ZPO-Willisegger art. 223 N 20) ;

7b – si la demande est peu claire, imprécise ou manifestement incomplète, de sorte que le juge doit exercer son devoir d’interpellation (art. 56 CPC; cf. TF 5A_545/2021 du 8.2.2022 c. 4.2, note sous art. 223 al. 2) ;

7c – si la demande est insuffisamment motivée, en ce sens que la motivation n’est pas concluante (TF 5A_545/2021 précité, ibid. ; sur cette notion, cf. notes sous art. 221 al. 1 lit. d, 4., not. ATF 144 III 519 c. 5.2.1.1). En effet, il résulte de l’art. 229 al. 2 CPC que lorsqu’il dépose sa demande en procédure ordinaire, le demandeur peut compter avoir deux tours de parole illimitée ; il ne saurait en être privé du fait que le défendeur n’a pas déposé de réponse. Dès lors, il doit pouvoir librement compléter sa demande (cf. BSK ZPO-Willisegger art. 223 N 23; PC CPC-Heinzmann art. 223 N 15 ; CR CPC-Tappy art. 223 N 18; cep. contra DIKE ZPO-Pahud art. 223 N 3 et TF 5A_921/2017 du 16.7.2018 c. 3.5, note sous art. 229 al. 1-2, A. 1. : si le défendeur déclare renoncer à déposer une réponse, le tribunal n’est pas tenu de donner à nouveau au demandeur l’occasion de se déterminer dans un second échange d’écritures [art. 225 CPC] ; le TF a cep. expressément laissé indécise l’obligation du tribunal, dans ce cas, d’assigner une audience des débats principaux). Il en résulte que dans ce cas, la cause n’est pas en état d’être jugée (BK ZPO-Frei art. 147 N 15 ; BSK ZPO-Gozzi art. 147 N 15), ce qui implique une audience des débats principaux. 

7d – si le tribunal a des doutes sérieux sur la véracité d’un fait allégué et non contesté : dans ce cas, et bien que la maxime des débats soit applicable, le juge n’est pas lié par l’absence de contestation. En dérogation à l’art. 150 al. 1 CPC, l’art. 153 al. 2 CPC lui permet d’administrer d’office la preuve. Il en résulte que la cause n’est pas en état d’être jugée et que le tribunal doit assigner une audience des débats principaux (art. 223 al. 2 CPC). Il s’agit là, en pratique, du cas le plus fréquent dans lequel le tribunal ne rend pas immédiatement sa décision finale, malgré le défaut de réponse. Ainsi, en l’espèce le tribunal a assigné l’audience au motif qu’il avait des doutes sérieux en ce qui concerne la quotité du dommage – ce qui a priori, ne remettait pas en question la violation des obligations contractuelles par la défenderesse, mais empêchait néanmoins le tribunal de rendre une décision finale sur l’ensemble du litige. Or, dans le cadre de ces débats principaux, un autre doute a surgi pour le tribunal, cette fois en lien avec la condition d’illicéité (violation du contrat).

8 Dans tous les cas où la cause n’est pas en état d’être jugée, le tribunal doit tenir une audience des débats principaux (art. 223 al. 2 CPC). La question se pose alors de savoir si le défendeur, qui n’a pas déposé de réponse écrite et est déchu du droit de procéder à cet acte (supra N 5), bénéficie encore, à la faveur de cette audience, d’un second tour de parole illimitée (art. 229 al. 2 CPC), qui lui permettrait en définitive de formuler une réponse par oral à l’ouverture des débats. La doctrine est divisée : certains auteurs répondent par l’affirmative (BK ZPO-Killias art. 223 N 15 ; BK ZPO-Frei art. 147 N 16, au motif que le CPC ne contient pas de réserve à cet égard ; PC CPC-Heinzmann art. 223 N 17), alors que selon d’autres, le défendeur ne peut que se déterminer sur la véracité des allégués de la demande et cas échéant, répondre librement aux allégués et offres de preuves complémentaires que le demandeur introduirait à l’ouverture des débats selon l’art. 229 al. 2 CPC (cf. ég. infra, N 9), mais au surplus, ne peut présenter d’allégués ou d’offres de preuves propres que s’il s’agit de nova admissibles selon l’art. 229 al. 1 CPC (BSK ZPO-Willisegger art. 223 N 24, qui y voit une conséquence du défaut de réponse écrite ; CR CPC-Tappy art. 223 N 23, au motif que l’art. 229 al. 2 CPC ne vise que des compléments à une écriture régulièrement déposée ; KuKo ZPO-Richers/Naegeli art. 223 N 12). A notre avis, le défendeur ne peut pas bénéficier de l’art. 229 al. 2 CPC (cf. ég. newsletter 2019-N20, n° 8) : l’admettre reviendrait à ignorer la forclusion qui résulte du défaut de réponse (art. 147 al. 2 CPC et supra N 5), à octroyer de facto une restitution du défaut sans égard aux conditions de l’art. 148 CPC, à laisser contourner l’exigence d’une réponse écrite (supra N 3) et enfin, à permettre une importante différence de traitement entre les défendeurs défaillants, en fonction non pas de leur comportement procédural, mais de la décision du juge sur la suite de la procédure (art. 223 al. 2 CPC) et au-delà, du contenu de la demande (supra N 7-7c). Le TF laisse néanmoins la question indécise (bien qu’il relève, en se référant au cas d’une réponse incomplète, le risque d’abus qui résulterait de ce second tour de parole, cf. supra N 3), car en définitive, elle n’est pas décisive en l’espèce, pour deux motifs.

9 Tout d’abord, comme l’évoque brièvement le TF (cf. c. 3.1.2 et c. 3.4 de l’arrêt), la demanderesse a initialement déposé une demande sans allégués ni offres de preuves (supra N 1), càd. une demande manifestement insuffisante au regard des exigences résultant de l’art. 221 al. 1 lit. d CPC (cf. notes sous art. 221 al. 1 lit. d, 2.b., en part. ATF 144 III 519 c. 5.2.1.2 et 5.4.1, concernant les conditions strictes auxquelles le renvoi à une pièce, telle une décision précédente, peut satisfaire aux exigences d’un allégué suffisant). Pour ce motif déjà, la cause n’était pas en état d’être jugée (cf. supra N 7c) et une audience des débats principaux devait être tenue (art. 223 al. 2 CPC). La demanderesse a ensuite complété sa demande, mais seulement dans sa première plaidoirie écrite, après l’ouverture des débats principaux ; au regard de la récente jurisprudence (ATF 147 III 475 c. 2.3, note sous art. 229 al. 1 et 2, A.1. et in newsletter 2021-N20), le tribunal aurait pu retenir que la clôture de la phase d’allégation était déjà intervenue, que la demanderesse ne faisait pas valoir de nova recevables au sens de l’art. 229 al. 1 CPC et qu’en conséquence, faute de motivation (régulière), sa demande devait être rejetée. Quoi qu’il en soit, dès lors que les allégués et offres de preuves de la demanderesse étaient nouveaux, la plaidoirie écrite de la défenderesse et son annexe, qui y faisaient suite, étaient clairement recevables (cf. supra N 8 et BSK ZPO-Willisegger art. 223 N 24). Ainsi le TF aurait-il pu rejeter le recours pour ce motif déjà, en relevant que la violation alléguée du contrat étant régulièrement contestée, le tribunal devait administrer la preuve à cet égard (art. 150 al. 1 CPC), indépendamment de tout doute sur la véracité des allégués, et tenir compte du moyen de preuve (titre) régulièrement offert par la défenderesse (art. 152 CPC).

10 Le TF fait cependant abstraction de ce motif et adopte un autre raisonnement. En examinant les pouvoirs du tribunal résultant de l’art. 153 al. 2 CPC, il parvient à la conclusion que même en admettant que la défenderesse, en raison de sa forclusion, ne pouvait pas   rattraper son défaut de réponse par le biais d’un second tour de parole illimitée (supra N 8), ses arguments pouvaient en tous cas éveiller, dans l’esprit du tribunal, de nouveaux doutes sur la véracité de faits allégués dans la demande, doutes qui justifiaient l’administration d’office de preuves selon l’art. 153 al. 2 CPC. Peu importe que ces doutes aient surgi après la clôture de la phase d’allégation – soit en l’espèce, à l’issue des premières plaidoiries (cf. précédemment TF 4A_375/2016 du 8.2.2017 c. 5.3, note sous art. 153 al. 2 : doutes nés au cours de l’audition d’un témoin, dont les déclarations infirmaient un fait allégué et non contesté ; prise en considération de ces déclarations). Peu importe également qu’ils se rapportent à des faits non (régulièrement) contestés – la première plaidoirie de la défenderesse étant supposée irrecevable -, et même à des faits dont le tribunal n’avait pas douté de la véracité jusqu’alors – soit en l’espèce, des faits relatifs non pas à la quotité du dommage, mais à la violation du contrat – et qui, n’ayant pas motivé la tenue de débats principaux, auraient en soi pu faire l’objet d’une décision finale immédiate (art. 223 al. 2 CPC). Le TF relève que pour permettre au tribunal d’administrer des preuves d’office, l’art. 153 al. 2 CPC suppose précisément, et uniquement, que les doutes sérieux se rapportent à des faits non contestés (si les faits sont contestés, il doit administrer les preuves, cf. art. 150 et 152 CPC et supra N. 9 ; il ne peut en revanche pas administrer la preuve de faits non allégués : cf. not. TF 4A_33/2015 du 9.6.2015 c. 6.3, note sous art. 153 al. 2). L’absence de contestation (régulière) étant ainsi une condition, et non un obstacle, à l’application de cette disposition, le tribunal pouvait encore administrer des preuves d’office – notamment prendre en considération l’anamnèse produite par la défenderesse, supposée irrecevable – sur les faits relatifs à la violation du contrat, dès lors que ces faits n’étaient précisément pas (régulièrement) contestés et que l’anamnèse éveillait désormais des doutes sur leur véracité. 

11 Cette solution aboutit certes, en définitive, à ce que les arguments d’un plaideur défaillant soient pris en considération de la même manière que s’il avait correctement déposé sa réponse. De prime abord, elle peut dès lors sembler en contradiction avec l’effet de forclusion que produit le défaut dans les procès soumis à la maxime des débats (supra N 5 et N 8). Elle nous semble cependant conforme à la lettre et au but de l’art. 153 al. 2 CPC, qui tend précisément à apporter un correctif aux conséquences extrêmes de cette maxime, en évitant que le juge, lié par les allégués non contestés, ne doive statuer sur la base d’un état de fait qui n’est pas crédible (cf. Message, 6923). Il s’agit ainsi de permettre que la vérité matérielle l’emporte sur la vérité formelle. L’arrêt met en évidence que cas échéant, cette disposition peut avoir une grande portée. Celle-ci ne saurait cependant être restreinte par des conditions que la loi ne prévoit pas – relatives au moment auquel les doutes ont surgi, ou aux allégués de faits auxquels ces doutes se rapportent -, sans quoi le but poursuivi serait entravé. Il faut en outre admettre, pour les mêmes motifs, que les doutes pertinents peuvent être provoqués même par des éléments qui n’ont pas été régulièrement introduits au procès – soit en l’espèce le contenu de la pièce produite par la défenderesse, supposée irrecevable :  l’origine des doutes n’importe pas (soulignant ég. que l’art. 153 al. 2 CPC ne contient pas de restriction quant à la circonstance qui éveille les doutes du juge : BSK ZPO-Guyan art. 153 N 10). Enfin, l’art. 153 al. 2 CPC ne limite pas non plus les moyens de preuves à administrer: dès lors que le tribunal intervient d’office, il doit pouvoir administrer tout moyen prévu par l’art. 168 CPC – soit en l’espèce le titre produit tardivement par la défenderesse -, peu important que celui-ci ait été ou non (régulièrement) offert (même avis : BK ZPO-Brönnimann art. 153 N 2 et N 7) ; à défaut, dès lors que le plus souvent, seul l’auteur de l’allégation a pu offrir régulièrement des preuves, le tribunal aurait en pratique peu de chances de faire surgir la vérité matérielle. 

12 Enfin, il ne s’agit pas de favoriser un plaideur négligent. Le doute du juge, qui le conduit à faire application de l’art. 153 al. 2 CPC, profite avant tout à la vérité matérielle, et non nécessairement au défendeur qui a omis de répondre. D’une part, la disposition suppose un fait non contesté, peu important que celui-ci ait été allégué par le demandeur, ou par le défendeur, et peu important les motifs de l’omission. D’autre part, aussi bien l’une que l’autre des parties peut se trouver (dé)favorisée par l’administration de preuves d’office, mais aucune d’elles ne peut compter par avance sur sa mise en oeuvre, qui dépend de doutes sérieux – autrement dit, de l’appréciation – du tribunal. En outre, si les conséquences d’un défaut de réponse peuvent certes se trouver atténuées, lorsque le tribunal décide de citer les parties aux débats principaux (art. 223 al. 2 CPC) puis y administre des preuves d’office (art. 153 al. 2 CPC), la situation du défendeur, telle qu’elle résulte du présent arrêt, n’est pas la même que s’il bénéficiait d’un second tour de parole à l’ouverture de ces débats, au sens de l’art. 229 al. 2 CPC (question laissée ouverte, cf. supra N 8). En effet, si l’on admet qu’il est forclos à répondre, le défendeur peut tout au plus espérer que ses arguments – ou d’autres circonstances – soulèvent auprès du tribunal des doutes sur la véracité des allégués adverses et provoquent l’administration de preuves qu’il n’a pas (régulièrement) offertes. Au contraire d’un plaideur bénéficiant d’un second tour de parole selon l’art. 229 al. 2 CPC, il ne peut en revanche pas contester formellement les allégués de la demande, ni dès lors, contraindre le demandeur à en apporter la preuve sous peine de rejet (cf. art. 222 al. 2 CPC), ni formuler d’allégués propres, dont le tribunal devrait tenir compte (art. 55 al. 1 CPC), ni offrir des preuves que le tribunal serait en principe tenu d’administrer (art. 152 CPC). En particulier, il ne peut pas soulever d’exceptions – telle la prescription -, ou d’objections – telle la compensation –, ni alléguer de faits dirimants ou extincteurs – tels p.ex. les faits motivant une rupture du lien de causalité entre une violation d’un contrat et un dommage -, sauf à démontrer que ces faits ou moyens de preuves constituent des novas recevables au sens de l’art. 229 al. 1 CPC (vrais nova survenus depuis l’expiration du délai de grâce pour répondre, ou pseudo nova excusables). Le défendeur forclos à répondre ne bénéficie ainsi, tout au plus, que d’une opportunité indirecte, aléatoire, et en tout cas limitée, de rattraper son défaut. L’arrêt ne se prononce pas au-delà.

13 Il n’en demeure pas moins que le défendeur, même forclos à répondre, obtient indirectement une chance d’influencer la décision finale, lorsque le tribunal estime que la cause n’est pas en état d’être jugée. Pour le demandeur dont les allégués de faits sont demeurés incontestés, donner prise à une telle appréciation signifie la poursuite du procès et un risque non négligeable, d’autant que la décision d’assigner des débats principaux est tout au plus susceptible d’un recours stricto sensu, aux conditions de l’art. 319 lit. b ch. 2 CPC (cf. TC/VD CREC du 19.5.2021 (2021/148) c. 1.2 et 2.3, note sous art. 223 al. 2). Il a dès lors tout intérêt à déposer d’emblée une demande suffisante et a priori convaincante, sans attendre son second tour de parole illimitée. Si en l’espèce, la demanderesse avait d’emblée formulé des allégués suffisants, en particulier sur la quotité de son dommage, au lieu de se contenter de se référer au jugement précédent sur son action partielle, il est probable qu’elle aurait obtenu un jugement favorable peu après l’expiration du délai supplémentaire de réponse (art. 223 al. 1 CPC). A son tour, la défenderesse aussi a pris un risque, en ne déposant pas de réponse ; elle a eu la chance que le tribunal estime (manifestement à raison, au regard de l’insuffisance de la demande, cf. supra N 9) que la cause n’était pas en état d’être jugée, puis qu’il n’hésite pas à prendre en considération (là encore à raison, cf. ibid.) ses arguments, en cours de procès. Cependant, lorsqu’il n’est pas évident que la demande est insuffisamment motivée, la conséquence du défaut de réponse, et singulièrement l’administration d’office de preuves selon l’art. 153 al. 2 CPC dépend avant tout de l’appréciation du juge ; un plaideur prudent ne saurait spéculer à cet égard.

Proposition de citation:
F. Bastons Bulletti in newsletter CPC Online 2023-N2, n°…

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